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- Lutte ouvrière n°2975
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il y a 80 ans
6 et 9 août 1945 : Hiroshima et Nagasaki sous le feu nucléaire
Le 6 août 1945, l’aviation américaine larguait la première bombe nucléaire de l’histoire, anéantissant la ville japonaise d’Hiroshima. Elle réitérait le 9 août, sur la ville de Nagasaki. En quelques secondes, les deux villes étaient entièrement détruites, et une grande partie de leur population réduite en cendres.
L’idée de construire une bombe d’une puissance incomparablement plus grande que tous les explosifs classiques était déjà ancienne. Dès la fin du 19e siècle, des scientifiques comme Henri Becquerel ou Marie Curie, découvreurs de la radioactivité, avaient en effet fait l’expérience de l’énergie colossale que recelait la fracture du noyau des atomes, d’où provient le terme « nucléaire ». Mais la première réaction en chaîne basée sur cette propriété ne fut réalisée qu’en 1942 à Chicago, en pleine Deuxième Guerre mondiale.
Le gouvernement américain avait décidé peu auparavant de lancer un programme de construction d’une telle bombe, le projet Manhattan. Albert Einstein en est parfois présenté comme l’initiateur, du fait de sa lettre au président américain Roosevelt, en 1939. En réalité, c’est un autre physicien, Leo Szilard, qui en avait pris l’initiative. Tous deux juifs, ils avaient vécu en Allemagne avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler, se disaient pacifistes et craignaient que les nazis ne développent leur arme nucléaire. Ils étaient convaincus que l’armée américaine n’oserait pas se servir d’une telle bombe contre des populations, et que son rôle serait dissuasif. Ce raisonnement est souvent encore repris aujourd’hui. Mais les bombardements de Hiroshima et Nagasaki sont l’effroyable démonstration de sa fausseté.
De puissants moyens de recherche
Le projet Manhattan, l’un des plus onéreux programmes industriels jamais mis sur pied, employait 129 000 personnes en juin 1944. L’État américain planifia tout, construisant plusieurs villes à partir de rien. Une des usines d’enrichissement de l’uranium, à Oak Ridge dans le Tennessee, fut construite en moins d’un an.
Après l’essai baptisé Trinity par le directeur scientifique du projet Manhattan, le physicien Robert Oppenheimer, réalisé le 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique, le président américain Truman décida de poursuivre l’expérimentation en bombardant deux villes japonaises. C’était loin d’être une nécessité militaire puisque, à l’été 1945, le Japon était défait. Ses grandes villes avaient déjà été massivement bombardées par l’aviation américaine ; Tokyo avait été incendiée et détruite par un raid aérien qui fit entre 90 000 et 100 000 morts. Sa flotte était presque détruite, et un blocus naval étouffait l’économie et la population.
Pour les dirigeants de la principale puissance impérialiste, l’enjeu était donc de préparer l’après-guerre. Truman décida d’utiliser les bombes nucléaires pendant la conférence de Potsdam qui, après celles de Téhéran et de Yalta, devait fixer le repartage du monde entre puissances victorieuses. En cherchant à imposer une capitulation sans condition au Japon, Truman entendait aussi démontrer à ses alliés et concurrents, et d’abord à l’Union soviétique, sa puissance et les moyens dont il disposait pour l’imposer. Les dirigeants impérialistes se souvenaient aussi de la vague révolutionnaire qui avait secoué l’Europe à la fin de la Première Guerre mondiale. Ils savaient que les pays vaincus pouvaient être le théâtre de révolutions, du fait du vide du pouvoir succédant à la défaite. Ils avaient donc enseveli sous des tapis de bombes les quartiers ouvriers des principales villes allemandes, dont Hambourg et Dresde, dans le but de terroriser la population.
De terribles effets destructeurs
Le jour même, les bombardements de Hiroshima et Nagasaki firent respectivement 70 000 et 40 000 victimes. Les déflagrations créèrent des ondes de choc mortelles accompagnées de températures avoisinant 4 000 degrés. Quatre mois après, les chiffres avaient doublé. Les habitants de Hiroshima et de Nagasaki qui avaient survécu firent l’atroce expérience d’une forme inédite de souffrance, résultant de l’irradiation. Ce syndrome provient de la destruction du matériel génétique des organismes exposés aux rayonnements de la bombe. Des médecins japonais ne purent que décrire cette mort à petit feu qu’ils ne connaissaient pas.
Les survivants des bombardements furent appelés « hibakushas », et furent traités en parias. Les dirigeants japonais, comme les autorités d’occupation américaines, cherchèrent à cacher les effets des bombes. Les journalistes ne furent pas autorisés à enquêter, et les quelques films réalisés dans les deux villes anéanties furent classés secret-défense. Des dizaines d’années après 1945, les victimes survivantes présentaient encore des séquelles et vivaient dans l’angoisse que leurs enfants naissent atteints de malformations génétiques.
Les dirigeants du plus puissant impérialisme étaient pleinement conscients des souffrances que la bombe atomique allait engendrer. Des études sur des animaux et des observations cliniques datant des années 1930 avaient en effet montré certains effets de l’exposition aux rayonnements. Mais surtout, des médecins du projet Manhattan avaient eux-mêmes réalisé des tests sur des êtres humains. Le premier d’entre eux fut un ouvrier noir du nom d’Ebb Cade, auquel on injecta, à son insu, du plutonium sous prétexte de traitement médical. Dix-sept autres « patients » subirent le même sort. Ces ignominies ne furent révélées que dans les années 1990.
La barbarie n’est pas dans la technique
Les conséquences des bombardements nucléaires incitèrent certains courants politiques à réclamer l’interdiction de toute technologie nucléaire, aussi bien civile que militaire. De fait, le développement des deux programmes a toujours été lié.
Mais si l’arme nucléaire est une arme terrifiante, on peut par exemple en dire autant de l’agent orange, un pesticide déversé massivement par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam, qui provoqua des cancers et des malformations graves pendant des dizaines d’années. La barbarie n’attend pas les innovations techniques. Au Rwanda, en 1994, des machettes ont été une des armes principales du génocide, dont fut complice l’État français, qui fit 800 000 morts.
À l’heure où la multiplication et l’intensification des rivalités guerrières ont remis sur les lèvres des dirigeants la menace nucléaire, ces massacres de civils et leurs terribles séquelles rappellent l’horreur dont les puissances qui se disent démocratiques sont capables quand il s’agit de maintenir l’ordre impérialiste. Un ordre qui a de plus en plus le visage de la barbarie.