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- Lutte ouvrière n°2984
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Il y a 60 ans
Août 1965, aux États-Unis : la révolte noire de Watts
Entre les 11 et 16 août 1965, Los Angeles fut le théâtre d’une révolte qui fit trembler la grande bourgeoisie américaine. Des dizaines de milliers de pauvres, issus des ghettos noirs, se dressèrent contre l’exploitation et le mépris qu’ils subissaient de la part des autorités.
Seul le recours aux moyens militaires put éteindre ponctuellement ce foyer de contestation, sans arrêter la profonde mobilisation des Noirs au cours de cette décennie.
Los Angeles, la métropole la plus brillante de Californie, l’État le plus riche du pays le plus puissant de la planète, était un concentré des contradictions du capitalisme. Le demi-million de Noirs, surtout des prolétaires, qui s’y concentrait était en butte à la ségrégation et exclu de la plupart des quartiers. Pour développer l’industrie de guerre à partir de 1940, en particulier l’aéronautique, de très nombreux travailleurs noirs avaient été incités à venir travailler en Californie du sud. Mais ils étaient parqués à 90 % dans une section de la métropole : South Central Los Angeles, comprenant le ghetto de Watts. Depuis la fin du boom économique de la Seconde Guerre mondiale, le chômage s’était étendu parmi la population noire paupérisée.
Une police raciste
La police de Los Angeles considérait les jeunes Noirs comme des criminels et les harcelait en permanence. Cette police, dont les membres étaient presque tous blancs, exprimait aussi son racisme contre les jeunes d’origine mexicaine. En 1962, un militant de l’organisation des Musulmans noirs fut tué, un autre resta paralysé à vie après avoir reçu une balle dans le dos et cinq autres furent blessés lors d’un raid policier contre le local de cette organisation nationaliste luttant pour l’émancipation des Noirs. De 1963 à 1965, la police de Los Angeles tua 60 Noirs, dont 27 en leur tirant dans le dos.
Le 11 août 1965, à Watts, un policier blanc arrêta un jeune Noir au volant d’une voiture et lui asséna un coup de matraque. Tentant de s’interposer, sa mère et son frère furent aussi embarqués par la police ce qui provoqua la colère de la foule rassemblée. Cet incident presque banal fut le point de départ de ce que les autorités qualifièrent d’« émeute ».
Le soulèvement et sa répression
Durant cinq jours, de 30 000 à 35 000 Noirs tinrent tête aux forces de répression. Il s’agissait surtout de jeunes travailleurs ou chômeurs, dont certains, armés, échangèrent des coups de feu avec les hommes en uniforme. Dans une zone dont la surface est approximativement celle de Paris, des dizaines de milliers d’habitants les soutenaient, certains profitant de l’absence de la police pour régler leurs comptes avec certains patrons ouvertement racistes, dont les entreprises furent brûlées. Les magasins de certains commerçants, qui pratiquaient des prix très élevés, étaient attaqués. Les autorités parlèrent de « pillages ». En fait des familles emportaient chez elles soit de la nourriture, soit des objets dont elles subissaient la publicité sans avoir les moyens de les acheter.
Malgré la mobilisation de toutes les forces à sa disposition, la police, si forte quand il s’agissait d’agresser des individus, s’avéra impuissante face à une population soulevée. « Cette situation est comme combattre les Vietcong [que l’armée américaine n’arrivait pas à vaincre au Vietnam], déclara son chef, ajoutant : « Nous ne savons pas quand nous pourrons en reprendre le contrôle ». Il demanda l’aide du gouverneur de la Californie, qui envoya en renfort 16 000 militaires à Los Angeles. Il y eut 34 victimes, dont 23 tuées par les forces de répression, un millier de blessés et plus de 3 000 arrestations. Plus tard, un des soldats engagés expliqua la tactique des autorités : « Ils nous ont envoyés en premier car on était la seule unité entièrement blanche. Il y avait d’autres unités plus près, mais ils s’inquiétaient de ce que serait la réaction de troupes mélangées racialement. » Des soldats noirs auraient en effet pu plus facilement se solidariser avec les insurgés.
Cette révolte, qui apparaissait comme une émeute raciale, avait en fait de profondes racines sociales. C’était l’opinion d’un journaliste de la radio CBS : « Ce n’était pas une émeute. C’était une insurrection contre toutes les autorités. Si ça s’était approfondi, ce serait devenu une guerre civile. » Fin 1965, la commission d’enquête dirigée par un ancien directeur de la CIA conclut que le chômage, des écoles sous-financées et le bas niveau de vie à Watts étaient bien les causes du soulèvement. Le président démocrate Johnson le confirma en incriminant la pauvreté.
Une révolte sans direction
Les insurgés de 1965 ne trouvèrent pas de direction politique pour leur mouvement du côté des pasteurs qui prétendaient être les guides de la population noire. Un d’entre eux les rejeta sans détour affirmant que « les criminels ont juste pris le pouvoir » à Watts. Aux premiers jours du soulèvement, un groupe de quarante pasteurs rencontra les autorités et leur demanda l’instauration de la loi martiale pour éviter une extension. Se voulant les alliés de l’État, ils prêchaient la patience à la population noire et de ne rien faire qui pût contrarier les autorités. Au lendemain de la révolte, Martin Luther King vint à Los Angeles pour dire : « Je déplore profondément les évènements de ces derniers jours tragiques. La violence n’est pas la solution aux problèmes sociaux. »
Après trois siècles d’esclavage et un siècle de racisme d’État, ces dirigeants n’avaient pas d’autre politique que de quémander à la bourgeoisie blanche un peu de considération. Pourtant le soulèvement des masses pauvres était une force capable de remettre en cause l’ordre social injuste qui ostracisait les Noirs. Mais il n’y avait pas de force politique prête à organiser les travailleurs noirs en ébullition pour donner à leur révolte un objectif politique visant à mettre fin à l’oppression raciale et sociale en remettant en cause le pouvoir de la bourgeoisie.
Malgré cela, les soulèvements n’allaient pas moins continuer à secouer par dizaines les grandes villes américaines durant la seconde moitié des années 1960, et à nouveau Los Angeles en 1992.