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Argentine : mobilisation ouvrière en Terre de Feu
Du 14 au 23 mai, l’industrie métallurgique installée sur la Terre de Feu, en Argentine, a été paralysée par une grève. Suivie par près de 10 000 travailleurs, elle a été déclenchée par l’Union ouvrière métallurgique (UOM), syndicat unique, membre de la CGT péroniste.
La grève fait suite à l’annonce, par le porte-parole du gouvernement d’extrême droite de Javier Milei, d’une réduction importante des taxes à l’importation sur un certain nombre de produits électroniques. Ces taxes protégeaient jusque-là toute une industrie de la Terre de Feu, laquelle pourrait donc supprimer des milliers d’emplois.
Aussitôt, une manifestation a lancé le mouvement à Rio Grande, cœur industriel de la région, et la totalité des usines a été mise à l’arrêt. Les ouvriers ont organisé des piquets, se rassemblant devant des braseros pour se protéger du froid de l’hiver austral. Ils ont tout de suite bénéficié du soutien massif de la population, car chaque famille dans la région a au moins un de ses membres dans l’industrie.
Les usines d’électronique ont poussé comme des champignons au sud du détroit de Magellan à partir de 1972. Le gouvernement argentin, qui souhaitait peupler le territoire dans le cadre de sa lutte d’influence séculaire avec le Chili, avait donné des avantages fiscaux aux capitalistes nationaux pour qu’ils investissent, sous la protection d’importants droits de douane. Aujourd’hui, 18 000 salariés travaillent pour les usines de BHG, Mirgor, Newsan, Solnik, Radio Victoria, Midea Carrier ou pour des sous-traitants à Rio Grande et Ushuaïa. Ils produisent des téléviseurs, climatiseurs, fours électriques, composants pour l’automobile, tablettes et smartphones pour le marché argentin. Les industriels, protégés de la concurrence internationale, font depuis cinquante ans d’énormes profits.
Au bout d’une semaine, le 21 mai, la grève était toujours suivie unanimement dans les usines. Ce jour-là, à l’appel des syndicats, elle avait gagné les enseignants, les chauffeurs routiers et les employés du commerce. Alors qu’à Ushuaïa un énorme cortège partait de l’usine Newsan pour manifester en ville, à Rio Grande, 6 000 grévistes des différentes usines se rassemblaient devant l’usine Mirgor pour un meeting.
Dès le début, l’objectif donné à la lutte a été « la souveraineté, les postes de travail et l’industrie nationale », la CGT accusant même le gouvernement de vouloir dépeupler la région pour la remettre aux États-Unis. Des militants syndicaux, y compris liés à l’extrême gauche, sont allés dans le même sens, dénonçant l’accord récent de Milei avec le FMI, en avril et les contreparties au nouveau prêt de 20 milliards, ainsi que l’annonce récente de la construction d’une base navale américaine à Ushuaïa.
Les travailleurs sont certainement d’abord soucieux de leurs difficultés à vivre avec l’inflation, de la multiplication des contrats précaires et de la nécessité vitale de garder leur emploi. Mais, deux jours plus tard, la direction du syndicat, après un vote des délégués, informait qu’un accord avait été signé avec les patrons qui se seraient engagés à ne pas licencier avant décembre et à payer les jours de grève, en échange de l’arrêt immédiat du mouvement. La signature a été contestée, des grévistes exigeant que les assemblées se tiennent dans la rue, en présence de la presse. Certains exprimaient leur rejet de l’accord, leur méfiance vis-à-vis des patrons. Ceux-ci en effet négocient en parallèle avec le gouvernement la sauvegarde de leurs profits et se soucient fort peu des emplois ou même de la « souveraineté » de la Terre de Feu. Et, si le travail a repris, rien n’est sans doute réglé sur le fond.