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France-Cameroun : une reconnaissance aux allures de provocation
Dans une lettre au président camerounais, Paul Biya, Macron a reconnu que, avant et après l’indépendance, la France avait mené une guerre « au cours de laquelle les autorités coloniales et l’armée française ont exercé des violences répressives de nature multiple ».
Cette guerre visait à écraser l’Union des populations du Cameroun (UPC), à terroriser la population qui la soutenait et à éliminer ses dirigeants successifs, Ruben Um Nyobe et Félix Moumié. Le premier a été assassiné au maquis en 1958, le second empoisonné à Genève en 1960 par les services secrets français.
Portée par la vague de révoltes anticoloniales qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, l’UPC était implantée dans toute la population, parmi les jeunes intellectuels révoltés par l’oppression coloniale, parmi les travailleurs, ceux du port de Douala et du chemin de fer, des plantations et parmi les petits paysans.
En 1955, l’UPC fut interdite, taxée de terrorisme et traquée par l’armée française. En 1956, le gouvernement du socialiste Guy Mollet, avec François Mitterrand à la Justice, amplifia la répression. L’armée déploya les méthodes de la guerre « contre-insurrectionnelle » développées en Indochine et à laquelle elle recourait aussi en Algérie. Les arrestations arbitraires et la torture se généralisèrent. Dans les campagnes, les villageois étaient déportés dans des camps, l’aviation et les blindés terrorisaient la population. Les archives de l’armée française parlent de 7 500 morts mais ce nombre est mensonger : la commission d’historiens l’estime à plusieurs dizaines de milliers, en réalité sûrement plus de 100 000 personnes.
Au cours de cette guerre la France forma l’armée camerounaise sur laquelle s’appuya Ahmadou Ahidjo, l’homme de main de la France jusqu’en 1982, quand l’actuel dirigeant du Cameroun, Paul Biya, le remplaça, à la suite de manœuvres de la France.
Macron espère probablement, par ce type de reconnaissance, préserver les intérêts de l’ancienne puissance coloniale en prétendant que les temps ont changé depuis l’époque de la Françafrique.
L’impérialisme français est pourtant toujours bien présent au Cameroun, et le régime camerounais a toujours protégé, depuis l’indépendance, ses intérêts. La famille Castel, treizième fortune de France, contrôle 80 % du marché des boissons dans le pays, et 20 000 hectares de plantations de canne à sucre. Quand, en février dernier, leurs ouvriers agricoles saisonniers se sont révoltés contre des retards de paiement à répétition, la police de Biya a tiré et tué un manifestant. Bolloré, qui a longtemps possédé le port de Douala, contrôle toujours au Cameroun des plantations de palmiers à huile, TotalEnergies, la distribution de carburant, et Orange, une bonne partie des activités financières, dans un pays où beaucoup de paiements se font par les téléphones mobiles.
Le choix de Macron de s’adresser à Biya, qui a été un des complices et un bénéficiaire de la guerre coloniale, plutôt qu’à la population camerounaise, est significatif. Biya, à 92 ans, a annoncé son intention de se représenter pour la huitième fois à la présidentielle, et la lettre du représentant de l’impérialisme français à ce gérant de sa succursale au Cameroun arrive alors que son principal opposant, Maurice Kamto, vient de voir sa candidature invalidée.
Plus qu’à une reconnaissance réelle des responsabilités de la France dans la sale guerre qu’elle a menée dans ce pays, le geste de Macron ressemble donc plutôt à un affront. Il insulte la mémoire des combattants qui se sont sacrifiés dans la lutte contre le colonialisme.