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Dans le monde
Italie : accidents du travail ou morts “blanches” ?
Cet article est traduit du journal édité par nos camarades de L’Internazionale (Italie – UCI), n° 200, avril 2025
Trois jours seulement après le début de l’année 2025 le premier mort au travail était enregistré, un ouvrier étant tombé de six mètres depuis un échafaudage sur un chantier de Lamezia Terme.
Comme souvent, il s’agit d’un accident sur un chantier, l’un des secteurs les plus à risque, mais pas le seul. On parle alors de morts « blanches », sous-entendant des morts dont personne n’est responsable ; des morts pour lesquelles on ne voit aucune main meurtrière, un malheur fatal, inévitable, auquel il faudrait se résigner. Ainsi, si l’on parle d’un risque acceptable, le prix d’une vie peut être quantifié, peut-être à l’aide de points. Apparemment, c’est la logique qui se cache derrière la récente loi qui instaure le soi-disant « permis à points » sur les chantiers de construction, mais aussi d’installations électriques, hydrauliques, etc.
Depuis l’entrée en vigueur de ce système au 1er octobre 2024, 30 points initiaux sont attribués aux entreprises : un accident mortel – un décès « accidentel » – entraîne une perte de 20 points, mais seulement après des années et une condamnation définitive ; une incapacité temporaire ou permanente de la victime fait perdre 8 à 15 points à l’entreprise et une maladie professionnelle lui fait perdre 10 points.
Ainsi, la vie des travailleurs est valorisée en points, qui peuvent être perdus mais aussi récupérés : par exemple si l’entreprise inscrit ses salariés à un cours de sécurité au travail de 12 heures, suivi d’une attestation de participation, 5 points sont récupérés. Un crédit gratuit est accordé après deux ans d’activité sans infraction, jusqu’à un maximum de 20 points. En dessous de 15 crédits, théoriquement toute intervention sur les chantiers doit être empêchée, sauf si au moins 30 % des travaux prévus ont été réalisés : dans ce cas, conformité ou non-conformité, ils peuvent être menés à terme.
Le bon sens suffirait à suggérer que, face à la soif de profits patronaux et à l’absence de contrôles, les points et les déductions accordées ne peuvent pas grand-chose. […]
De plus, les données sur les accidents avec blessures survenus en 2024, et celles déjà disponibles pour les premiers mois de 2025 sont alarmantes dans tous les secteurs. Le nombre de cas mortels signalés à l’Institut national des accidents du travail (Inail) en 2024 était de 1 077. Par rapport aux 1 029 de 2023, ce sont 48 de plus, dont 7 sur le lieu de travail et 41 accidents de trajet.
La comparaison avec les années immédiatement précédentes est faussée par les longues périodes d’inactivité dues à l’épidémie de Covid. Mais, à partir de janvier 2025, le bilan est encore plus dramatique, car durant ce seul mois on a compté 60 morts, soit 15 de plus que durant le même mois de 2024 et un taux d’augmentation de plus de 30 %. Parmi ces accidents, 46 se sont produits sur le lieu de travail et 14 pendant les trajets domicile-travail. La logistique et l’entreposage, la construction et la fabrication sont les secteurs les plus meurtriers ; les travailleurs étrangers sont touchés dans une proportion plus de deux fois supérieure à celle des Italiens, signe qu’ils sont ceux qui exercent non seulement les emplois les moins protégés et les plus dangereux, mais aussi ceux sans contrat ou avec des contrats irréguliers.
Même s’il s’agissait vraiment de morts « blanches », s’il n’y avait vraiment pas de responsables de ces morts, il faudrait comprendre pourquoi leur nombre augmente. […] Mais en réalité, l’abondance des réglementations ne sert qu’à masquer le manque d’attention pour la vie de ceux qui travaillent. Or, par souci de « transparence » et de « simplification », les inspections (éventuelles et très, très improbables) des entreprises pour vérifier s’il y a présence d’embauches irrégulières nécessitent un préavis de 10 jours et, si tout est en ordre, pendant les 10 mois suivant l’entreprise est exemptée de contrôles.
Si même le préavis ne suffit pas et si l’inspecteur constate la présence de travailleurs non embauchés régulièrement, par exemple sur un chantier de construction, il y a toujours ce qu’on appelle « l’erreur excusable ». Le patron peut prétexter un retard de communication à la caisse du bâtiment et dispose alors de 20 jours pour remédier à l’infraction.
Les chantiers irréguliers sont le lieu d’accidents plus fréquents, mais la ministre du Travail Calderone s’est récemment déclarée satisfaite des résultats des inspections effectuées. Selon le syndicat UIL, 5 692 contrôles ont été faits, avec 8 infractions relevées pour absence du « permis à points », et sur les plus de 400 000 de ces permis délivrés par l’inspection du travail aucun n’a été remis en cause.
C’est effectivement un excellent résultat… qui mériterait les remerciements du patronat.