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- Lutte ouvrière n°2968
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il y a 50 ans
Liban, printemps 1975 : le début d’une guerre civile de quinze ans
Le 13 avril 1975, les phalanges libanaises, des troupes de choc d’extrême droite recrutées dans la jeunesse chrétienne, tiraient sur un bus transportant des militants palestiniens et libanais alors qu’il traversait Aïn El-Remmaneh, un faubourg chrétien de Beyrouth, pour rentrer au camp de Tel-el-Zaatar. Les vingt-trois occupants de l’autocar furent massacrés de sang-froid.
Ce guet-apens avait été soigneusement préparé par l’extrême droite chrétienne. « Pourquoi les Libanais sont tous armés ? Parce que, malheureusement, nous avons été débordés par une nuée d’étrangers qui sont venus presque occuper notre pays » déclara à l’époque Pierre Gemayel, le chef du parti fasciste des phalanges. Pour lui, les réfugiés palestiniens étaient des étrangers indésirables, et il voulait aussi donner le signal d’une remise en ordre au profit de la classe dominante, essentiellement chrétienne maronite. Ce massacre du 13 avril marquait le début d’une guerre qui allait durer quinze années.
Un État mosaïque
Le Liban était depuis longtemps empoisonné par des divisions confessionnelles héritées du colonialisme français. Celui-ci avait en effet créé artificiellement un État libanais à majorité chrétienne, séparé de la Syrie, avec l’objectif d’en faire un intermédiaire privilégié pour les affaires des banquiers français. Mais si, à ses débuts, le Liban fut à majorité chrétienne, il restait une mosaïque de dix-sept confessions reconnues. Pour diviser et régner, la puissance coloniale s’appuya sur ces différences confessionnelles en les institutionnalisant. À l’indépendance en 1943, le système politique, toujours en vigueur aujourd’hui, perennisa cette division en plaçant un chrétien maronite à la présidence de la République ainsi qu’au commandement des armées, un musulman sunnite au poste de Premier ministre, et un musulman chiite à celui de président de l’Assemblée nationale. Ce système fut d’emblée contesté. L’accaparement du pouvoir politique par la partie chrétienne et privilégiée soulevait le mécontentement du reste de la population, notamment druze, et de la partie la plus pauvre, sunnite et chiite.
Ces divisions communautaires recoupaient en partie les divisions sociales. La bourgeoisie, ceux qui occupaient l’essentiel des postes de responsabilité dans l’économie, gérants de société ou banquiers, était chrétienne maronite. Si le prolétariat des grandes industries de la banlieue de Beyrouth était multiconfessionnel, composé de chiites (44 %) et de chrétiens maronites (28,4 %), la population la plus pauvre, regroupée à Beyrouth sud, dans la plaine de la Bekaa et au Sud-Liban, était essentiellement musulmane chiite. Au nord, dans la région du Akkar, elle était en majorité musulmane sunnite.
À partir de 1948, des dizaines de milliers de Palestiniens chassés de leurs terres par l’État d’Israël trouvèrent refuge au Liban, installés dans des camps. Chaque guerre israélo-arabe augmentait leur nombre.
Ainsi, en 1975, au Liban, les camps regroupaient près de 300 000 Palestiniens, soit 16 % de la population. Il s’agissait de jeunes, et de moins jeunes, révoltés, nombreux à être organisés dans différents partis et milices et prêts à se battre contre l’injustice de leur sort. Les organisations palestiniennes s’étaient en effet renforcées au fil des années, en particulier l’Organisation de libération de la Palestine, l’OLP, dirigée par Yasser Arafat. Depuis les accords du Caire de 1969, conclus entre le gouvernement libanais et l’OLP, les Palestiniens pouvaient conserver leurs armes et gérer leurs camps au Liban. C’est dire le poids qu’ils représentaient.
La montée du mécontentement
Les classes possédantes jugeaient la situation dangereuse car la combativité des Palestiniens tendait à stimuler les classes populaires libanaises face à la misère qu’elles enduraient, la même que les réfugiés palestiniens.
Les travailleurs acceptaient de moins en moins les inégalités. Plus de la moitié de la population libanaise était classée comme pauvre, alors qu’une minorité s’enrichissait. L’inflation rendait la vie de plus en plus dure. Des luttes ouvrières éclatèrent, comme celles du 11 novembre 1972 dans les usines Ghandour de Chiyah, dans la banlieue sud de Beyrouth, qui fut réprimée par l’armée – il y eut deux morts parmi les ouvriers – ou la grève des planteurs de tabac du Sud-Liban début 1974, ou encore la grève des pêcheurs de Saïda, début 1975.
Une grande partie de la population pauvre libanaise se sentait solidaire des Palestiniens. Ces milliers de militants courageux et de jeunes révoltés étaient pour beaucoup l’exemple à suivre.
Les années 1960 et le début des années 1970 furent donc des années de montée des tensions sociales et politiques, conjuguées avec la montée des sentiments anti- impérialistes, nationalistes arabes et anti-israéliens, tant la politique d’Israël apparaissait inspirée par les puissances occidentales. Au Liban, la bourgeoisie, en particulier la bourgeoisie et la petite bourgeoisie chrétiennes, se sentait menacée. Le Parti phalangiste, ce parti d’extrême droite fondé dans les années 1930 par Pierre Gemayel, s’appuya sur ce sentiment pour lancer l’attaque du 13 avril 1975. Les combats se déchaînèrent entre milices d’extrême droite régnant sur les quartiers riches, le plus souvent à majorité chrétienne, et celles des Palestiniens et des partis de gauche libanais, qui s’appuyaient sur une véritable mobilisation populaire et tenaient les quartiers pauvres et les camps de réfugiés.
Le véritable enjeu allait en fait au-delà du Liban. Cette alliance des masses pauvres libanaises et des Palestiniens montrait combien ceux-ci pouvaient être un facteur de mobilisation pour les masses de tous les pays arabes. Cela constituait une menace pour l’ensemble des régimes, des classes dominantes de la région et l’impérialisme. Cependant, aucune force politique n’était prête à s’appuyer sur cette situation et à mener une politique révolutionnaire dirigée contre l’ensemble des régimes du Moyen-Orient. Il en était ainsi des dirigeants palestiniens eux-mêmes. Le dirigeant de l’OLP Arafat déclarait ainsi se battre « pour la Palestine, pour toute la Palestine et rien que la Palestine ». Ainsi, un combat qui apparaissait au début comme un combat entre deux camps sociaux perdit rapidement ce caractère pour se transformer en une guerre, particulièrement violente, entre un camp chrétien et un camp musulman parfois appelé « palestino- progressiste ».
La guerre civile allait faire 200 000 morts et un grand nombre de disparus, dans un pays de 2,7 millions d’habitants. Elle se termina en 1990, sur un accord parrainé par l’Arabie saoudite qui laissait le pays en proie au chaos.