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Roumanie : entre deux démagogues
Dimanche 18 mai, au second tour de l’élection présidentielle en Roumanie, Nicusor Dan, maire de Bucarest, l’a emporté avec 54 % des voix face au candidat d’extrême droite, George Simion. Il se présente comme « démocrate » et « pro-européen ».
Simion, arrivé en tête au premier tour avec plus de 40 % des voix, en a pourtant gagné près de 1,5 million entre les deux tours. Mais la hausse de la participation (près de 65 % au second tour, contre 53 % au premier) a surtout profité à Dan. La pression pour « faire barrage à l’extrême droite » a été forte : une campagne médiatique a agité le spectre du danger russe et présenté Simion comme un danger pour la démocratie. Dan a reçu le soutien du PNL, le parti de droite au pouvoir depuis trente ans en alternance avec le PSD, considéré comme la gauche. Auparavant, ces partis de gouvernement avaient essayé de bloquer la montée de l’extrême droite par des artifices institutionnels, justifiant l’annulation par la Cour constitutionnelle d’un premier scrutin présidentiel en novembre : le candidat d’extrême droite Calin Georgescu, arrivé en tête, avait été accusé de devoir son succès à des manipulations de la Russie.
Dan avait aussi le soutien de dirigeants européens, dont Macron, qui a écrit sur X : « Malgré les nombreuses tentatives de manipulation, les Roumaines et les Roumains ont fait ce soir le choix de la démocratie, de l’État de droit et de l’Union européenne. » Ursula von der Leyen a qualifié le résultat de « promesse d’une Roumanie ouverte et prospère au sein d’une Europe forte ». Ces dirigeants reprochaient à Simion son hostilité à l’UE et le fait qu’il se soit démarqué du soutien à l’Ukraine, faisant écho à l’inquiétude suscitée dans la population par cette guerre toute proche.
Mais la montée de l’extrême droite traduit la colère d’une partie des classes populaires roumaines contre les promesses non tenues de l’UE. Depuis l’intégration du pays à l’Union européenne en 2004, les entreprises occidentales ont trouvé en Roumanie un marché et une main-d’œuvre qualifiée beaucoup moins chère qu’à l’Ouest. Cela a alimenté les profits des Carrefour, Renault, Continental… Mais les salaires et le niveau de vie de la population sont toujours restés parmi les plus bas de l’UE. Le salaire minimum est à 814 euros, quand un litre de lait coûte 1,40 euro. Dans la moitié des départements, le salaire moyen réel est de 600 à 700 euros. À cela, s’ajoute l’inflation : depuis 2020, les prix ont grimpé de 44,7 %, ceux du gaz de 84,5 %. La classe ouvrière est frappée par une vague de licenciements, particulièrement dans le secteur automobile : Dacia a lancé un plan de départs volontaires concernant 300 postes, et l’équipementier allemand Schaeffler prépare aussi des centaines de suppressions de postes.
En fait, l’intégration à l’UE n’a pas permis à la classe ouvrière roumaine de bien vivre, et elle s’est accompagnée d’une vague d’émigration massive. Près d’un Roumain sur cinq, soit 5 millions de personnes, vit à l’étranger. En Italie, en Belgique, en France, ils ne trouvent bien souvent que des emplois difficiles, pour des salaires insuffisants. Au premier tour, Simion a obtenu 60 % des voix parmi les électeurs de cette diaspora.
La rage contre les partis de gouvernement explique le score élevé de ce démagogue d’extrême droite, dont les modèles sont Trump et Orban. Il se dit contre la guerre en Ukraine, tout en misant sur le nationalisme roumain contre les Hongrois ; il se prétend du côté du peuple, mais n’a jamais un mot contre le patronat.
Un gouvernement Simion aurait à coup sûr gouverné contre les travailleurs. Mais Dan, avec son langage plus policé et son allure de premier de la classe qui plaît tant aux dirigeants européens, ne vaut pas mieux pour les classes populaires. En se présentant comme indépendant, il a bénéficié du rejet des partis qui gèrent la Roumanie depuis la fin du régime de Ceaucescu, mais c’est avec eux qu’il s’apprête à gouverner. Dès son élection, il a évoqué les « efforts » nécessaires pour faire face au déficit budgétaire de l’État.
Les partis d’extrême droite espèrent sans doute qu’une défaite avec des scores aussi élevés prépare des prochaines victoires : les travailleurs n’ont pas plus à leur faire confiance qu’à Dan et aux gouvernements qui l’ont précédé.