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Cameroun : la sale guerre coloniale de la France (1955-1971)
Dans une lettre écrite le 30 juillet au président camerounais, Paul Biya, Macron a admis que la France avait mené au Cameroun une guerre « au cours de laquelle les autorités coloniales et l’armée française ont exercé des violences répressives de nature multiple ». Cet aveu n’est en fait pas nouveau : en 2015, Hollande avait déjà parlé d’épisodes « extrêmement tourmentés et tragiques même » (Cité dans Le Monde, 26 juillet 2022). Mais plus de 50 ans après les massacres qui ont ensanglanté le Cameroun entre 1955 et 1971, cette reconnaissance des dirigeants français est purement verbale : elle est avant tout une manœuvre cynique pour sauvegarder les intérêts de leur impérialisme au Cameroun.
Économiquement, la France est toujours bien présente au Cameroun. Pierre Castel, treizième fortune de France, contrôle 80 % du marché des boissons et 20 000 hectares de plantations de cannes à sucre. Bolloré, qui a longtemps possédé le port de Douala et 80 % de la compagnie ferroviaire Camrail, y exploite toujours des plantations de palmiers à huile. Orange domine le réseau téléphonique, et donc une bonne partie des activités financières car beaucoup de paiements se font par téléphone mobile.
En écrivant à Paul Biya, président du Cameroun depuis 1982, Macron s’est adressé à l’héritier du régime d’Amadou Ahidjo, mis en place en 1960 par la France pour accompagner la décolonisation et maintenir son influence. Dans sa lettre, Macron minore le nombre des victimes et écarte la responsabilité des services secrets français dans l’assassinat en 1960 à Genève de Félix Moumié, un des principaux dirigeants indépendantistes avec Ruben Um Nyobe, lui-même exécuté par l’armée française en 1958. Entre 1955 et 1971, l’armée française et ses forces supplétives camerounaises ont tué en fait plus de 100 000 personnes, dans un pays de 3,5 millions d’habitants. Jusqu’à récemment, l’ampleur de ces massacres était totalement occultée par l’État français : elle était pourtant connue, du moins de ceux qui ont subi la répression et des militants anti-impérialistes, au Cameroun et ailleurs en Afrique, et en France.
En mettant en place en 2022 une commission d’historiens pour travailler sur certaines archives de la guerre au Cameroun, Macron a prétendu jouer la transparence, comme il l’a prétendu à propos des responsabilités de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda. Mais ces commissions, en reconnaissant des « fautes » et de prétendues « erreurs d’appréciation », aboutissent à minimiser les crimes commis par l’impérialisme français en Afrique1. Au moment des indépendances, le Cameroun a été un laboratoire de la « décolonisation » à la française. C’est une politique qui a été élaborée sous la 4e République et des gouvernements de gauche, puis mise en œuvre après 1958 par de Gaulle et la droite, et après 1981 par Mitterrand. Un système de contrôle étroit, par le biais des appareils militaire, politique, administratif et financier, a permis à l’impérialisme français de maintenir son influence tout en étant de plus en plus une puissance de second rang.
« Partir pour mieux rester »
Cette expression du radical Edgar Faure, ministre à de nombreuses reprises entre 1949 et 1973, résume la politique de la France au moment des indépendances en Afrique. Les bouleversements de la Deuxième Guerre mondiale, la profonde vague de révoltes anticoloniales et les pressions des États-Unis, rendaient la décolonisation inévitable. Le problème de l’État français était alors de gérer son retrait apparent, en plaçant des régimes à sa solde, en formant des dirigeants africains et des États à même de contrôler la société. Mais les grandes puissances, y compris l’impérialisme américain favorable à la fin des chasses gardées des vieilles puissances coloniales, ne voulaient pas que la décolonisation vienne d’en bas, et aboutisse à la formation d’États forts d’un soutien populaire qui leur aurait offert des marges de manœuvre vis-à-vis de l’impérialisme.
Au Cameroun, la lutte pour l’indépendance était menée depuis 1948 par l’Union des populations du Cameroun (UPC), qui bénéficiait d’un appui massif dans la population. Pour l’impérialisme français, l’UPC était l’obstacle à abattre pour imposer un régime qu’il puisse contrôler. C’était d’autant plus crucial à ses yeux que la révolte au Cameroun pouvait être contagieuse, entraîner les pays voisins, issus du morcellement de l’Afrique équatoriale Française (AEF), le Congo-Brazzaville, la Centrafrique et le Gabon. Pour liquider l’UPC et terroriser la population, la France mena donc au Cameroun une guerre atroce.
Du Cameroun allemand à la colonisation franco-britannique
En 1884, peu avant la conférence de Berlin (janvier 1885) au cours de laquelle les grandes puissances européennes se partagèrent le « gâteau africain », le Cameroun fut conquis par l’Allemagne. Les résistances à cette colonisation furent importantes, parmi les habitants du pays Bamiléké au sud, dont les autorités allemandes dirent qu’il fallait « les exterminer tous », et dans le nord, peuplé de populations musulmanes, peules ou animistes. Comme dans les colonies françaises, britanniques ou belges, l’exploitation fut féroce, pour extraire les bois précieux, le caoutchouc, le cacao, l’huile de palme, le café et le tabac.
En 1914, les grandes puissances impérialistes entraînèrent la planète dans la Première Guerre mondiale. Elle concerna aussi le continent africain et le Cameroun connut des batailles entraînant des destructions importantes. Dès 1915, les armées française et britannique occupèrent la colonie allemande. Après 1918, cette occupation fut approuvée par la Société des Nations. Le Cameroun fut coupé en deux « protectorats », accaparés par la France et la Grande-Bretagne.
Naissance d’un courant indépendantiste
Dès la colonisation allemande et ensuite sous le joug français, un sentiment national apparut au Cameroun, notamment parmi la mince couche de jeunes Africains qui avaient accès à l’école. Parmi eux, le plus connu fut Ruben Um Nyobe. Né en 1913 de parents paysans, Ruben put néanmoins suivre une scolarité et devint employé dans l’administration coloniale. Dans les années 1930, il s’engagea dans la Jeunesse camerounaise française, une organisation mise sur pied par l’administration française pour contrecarrer l’influence de l’Allemagne mais où plusieurs futurs dirigeants indépendantistes se politisèrent. En 1944-1945, Ruben Um Nyobe fut formé au Cercle d’études marxistes de Yaoundé, un groupe d’étude communiste (GEC) animé par des responsables français du PCF, en particulier Gaston Donnat. L’objectif de ces GEC, qui existeront aussi à Dakar et à Conakry jusqu’en 1951, était de « lutter contre le racisme, le nazisme et le colonialisme ». Les militants africains et français y étudiaient ensemble, ce qui bouleversa Ruben Um Nyobe, qui raconte : « C’est la première fois que je m’assois à la table d’un Blanc : je considère cela comme un grand événement au Cameroun, je ne l’oublierai pas. »2
Dans ces cercles d’études du PCF, Ruben Um Nyobe et ses camarades ne furent pas formés dans un authentique esprit communiste, avec l’objectif que les travailleurs prennent le pouvoir, comme en Russie en 1917. Sur la question coloniale, l’Internationale communiste, créée en 1919 en pleine vague révolutionnaire, se rangeait aux côtés de tous les peuples opprimés se soulevant contre l’oppression, même quand ils menaient leur combat sous la direction de leur bourgeoisie nationale. Mais en même temps, l’Internationale communiste affirmait clairement que si les communistes devaient « entrer en relations temporaires et former des unions avec les mouvements révolutionnaires [non prolétariens] dans les colonies et les pays arriérés », ils ne devaient « toutefois jamais fusionner avec eux, et [devaient] conserver toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire »3. Dans un pays agricole comme le Cameroun, comme dans bien des pays pillés par l’impérialisme, la classe ouvrière était embryonnaire, mais il était vital pour les opprimés qu’elle joue un rôle dirigeant dans les luttes contre la colonisation. Cependant, gangrené par la dégénérescence stalinienne, devenu réformiste et défenseur de l’État bourgeois français et de ses colonies, le PCF défendit une politique opposée. Dans une circulaire du PCF de 1948 sur l’orientation de la direction des organisations politiques en Afrique, les dirigeants staliniens français écrivaient que dans les colonies, il était « dangereux de faire jouer à la classe ouvrière le rôle dirigeant dans le mouvement politique ». Dans les textes servant de base aux formations des GEC, les responsables français du PCF comme Jean Suret-Canale expliquaient, à grand renfort de citations de Staline et d’extraits déformés de Lénine, qu’il fallait « éviter dans toute la mesure du possible les conflits entre travailleurs et employeurs autochtones mais leur faire comprendre qu’ils sont victimes d’un exploiteur commun : l’impérialisme »4.
Les staliniens n’atténuaient pas seulement la lutte des classes : le PCF se comportait en parti responsable devant la bourgeoisie française. Même après que ses ministres eurent été évincés du gouvernement en mai 1947, il défendit l’Union française, le nouveau nom de l’empire colonial après 1945, au nom de la nécessité de contrer les États-Unis, qui eux poussaient à la décolonisation pour s’ouvrir les marchés protégés de la France et de la Grande-Bretagne. En 1949, Raymond Barbé, responsable de la section coloniale du PCF de 1945 à 1950, écrivait « l’impérialisme américain se trouve à la tête du camp antidémocratique et poussé par les nécessités de ses propres contradictions, il a entrepris d’étendre son hégémonie sur le monde […]. L’Afrique noire devient ainsi un élément important dans les combinaisons stratégiques des impérialistes, en même temps qu’un champ d’expansion des capitaux américains ». Au prétexte de s’opposer à l’expansion de l’Amérique, le PCF s’alignait ainsi totalement derrière son propre impérialisme.
De la Deuxième Guerre mondiale à la révolte anticoloniale
En juin 1940, le prestige de la France dans ses colonies avait été mis à mal par la défaite face à l’armée allemande, démontrant aux peuples colonisés que la puissance coloniale n’était pas invincible. En 1944, lors d’une conférence à Brazzaville réunissant les gouverneurs coloniaux, sans aucun représentant africain, de Gaulle avait utilisé des formules ambiguës, laissant croire qu’il pourrait y avoir des avancées pour les peuples. Pour défendre les intérêts de l’État français, il avait besoin d’enrôler dans son armée des centaines de milliers de soldats issus des colonies, des tirailleurs venus du Sénégal, d’Algérie, du Congo… et du Cameroun. Mais à partir de 1945, l’oppression coloniale souleva une profonde vague de révolte. Alors que la Deuxième Guerre mondiale avait été présentée comme celle de la démocratie contre le fascisme, il n’y eut aucune « libération » pour les peuples colonisés. En mai 1945, la seule réponse aux manifestations pour l’indépendance en Algérie fut les massacres de Kherrata, Sétif et Guelma, qui firent entre 10 000 et 40 000 victimes. En septembre 1945 à Douala, le grand port du Cameroun, une grève pour les salaires éclata parmi des journaliers travaillant au chemin de fer, la couche la plus exploitée des cheminots. Elle entraîna les quartiers populaires de Douala, avant d’être écrasée par les milices coloniales. Étouffée pour un temps, la révolte n’allait pas tarder à ressurgir, nourrie par l’oppression et l’exploitation coloniale.
L’Union des populations du Cameroun (UPC) était animée par de jeunes militants, travaillant pour l’administration française, comme instituteurs, employés ou médecins pour les populations africaines, subissant le racisme de l’ordre colonial, qui les cantonnait à des tâches subalternes. Son dirigeant le plus respecté fut Ruben Um Nyobe, qui était un peu plus âgé. Dans son roman Remember Ruben, l’écrivain camerounais Mongo Beti écrit ainsi qu’il « était toujours question de Ruben dans ce faubourg ; les jeunes du quartier étaient prêts à mourir pour Ruben, tout de suite, s’il le fallait et avec joie ». Vivant dans les quartiers populaires, les travailleurs prenaient conscience et commençaient à s’organiser. Dans cette période d’agitation sociale, les syndicats créés par les militants anticoloniaux et les responsables du PCF se développaient. L’Union des syndicats du Cameroun devint un pilier de l’UPC qui gagna ainsi un appui important parmi les exploités des villes, en particulier dans le port de Douala.
Montée en puissance de l’UPC
Même faible numériquement, la classe ouvrière était bien présente mais personne ne défendit la perspective qu’elle prenne la tête de la révolte anticoloniale. Malgré la répression de l’administration coloniale, l’UPC s’implantait dans toute la société, parmi les jeunes intellectuels, les sans-travail, les travailleurs du port de Douala et les cheminots, parmi les ouvriers des plantations et les petits paysans des campagnes, qui formaient l’écrasante majorité de la population. Ruben Um Nyobe devenait de plus en plus populaire. Entre 1952 et 1954, il fut entendu trois fois à l’ONU à New York, ce qui reflétait la pression à la décolonisation venant des États-Unis, pour qui l’ONU servait de paravent politique. Dans ses discours, au ton et aux objectifs modérés, Ruben Um Nyobe dénonçait l’oppression coloniale française, en défendant l’indépendance et l’unification des Cameroun français et britannique. Par la presse et les tracts de l’UPC, chacune de ses interventions était préparée en amont par des pétitions puis diffusée massivement dans tout le pays.
Les femmes assuraient – comme pour toute la vie sociale – une large partie de la logistique, pour abriter les militants, les nourrir et la femme d’un dirigeant de l’UPC, Marthe Moumié, animait une organisation de femmes. L’UPC, qui comptait entre 20 000 et 80 000 militants, était une organisation sans distinction d’ethnies ou de langues, nombreuses dans le pays. Même ce simple aspect de la politique de l’UPC était un problème pour l’impérialisme et un obstacle à sa politique de division. Si la décolonisation était inévitable, il ne fallait pas, aux yeux des impérialistes, qu’elle soit imposée par en bas, et que la population révoltée porte à sa tête des dirigeants choisis par elle, disposant d’un crédit et d’une base sociale solide, comme ceux de l’UPC. Cette préoccupation était d’ailleurs partagée par les États-Unis, qui fournissaient comme en Indochine et en Algérie une large partie du matériel militaire utilisé par l’armée française.
La France et ses hommes d’affaires avaient aussi des intérêts économiques à défendre au Cameroun. Avec le pétrole découvert en 1947 dans le golfe de Guinée, ses plantations agricoles de cacao, de café et ses bois, le Cameroun comptait pour l’impérialisme français. Celui-ci devait aussi gérer les réactions de ce milieu de colons, fait de plusieurs milliers d’individus imprégnés de préjugés racistes, viscéralement attachés aux privilèges que leur offrait la domination coloniale.
La guerre coloniale au Cameroun
Impuissants à endiguer la montée en force de l’UPC, les dirigeants français firent le choix de la répression. En mai 1955, une agitation sociale importante se développa, des grèves éclataient pour les salaires et les manifestations nombreuses réclamaient l’indépendance. Le haut-commissaire français dirigeant le Cameroun se livra à une série de provocations qui finirent par déclencher des émeutes à Douala, à Yaoundé et dans d’autres villes. La réponse de l’armée française fut extrêmement brutale : elle ouvrit le feu sur les manifestants, procéda à des arrestations et des détentions arbitraires. Dans son livre Main basse sur le Cameroun5, interdit en France à sa sortie en 1972, l’écrivain camerounais Mongo Beti écrivit à propos de cette répression : « On vit la troupe massacrer les Africains avec une sorte d’enthousiasme sadique. » En juillet 1955, traitée de terroriste, l’UPC fut interdite, en s’appuyant sur la loi de janvier 1936 contre les ligues d’extrême droite.
En 1956, l’arrivée de la gauche au pouvoir ne changea rien : au contraire, le gouvernement du socialiste Guy Mollet intensifia la guerre, au Cameroun comme en Algérie, avec Mitterrand comme ministre de la Justice. Au Cameroun, ce gouvernement nomma haut-commissaire le gaulliste Pierre Messmer, un ancien officier de la Légion étrangère en Indochine, futur Premier ministre de De Gaulle. Encore en 2008, Messmer disait : « L’UPC était dirigée par des chefs communistes impitoyables. Um Nyobé faisait régner la terreur ; et à partir de ce moment-là, j’ai décidé de lui faire la guerre, et l’éliminer. »6 En fait, l’UPC n’était évidemment ni terroriste ni communiste. Même ses liens avec le PCF, qui avaient précisément contribué à former des cadres plus nationalistes que communistes, se distendirent à partir de 1956, quand le PCF eut voté les pouvoirs spéciaux au socialiste Guy Mollet.
Pour écraser l’UPC et contrôler la population qui se soulevait sous son drapeau, l’armée française eut recours aux méthodes de la « guerre contre-insurrectionnelle », qu’elle avait mises au point à Madagascar et surtout en Indochine puis en Algérie. L’armée française ne parlait pas de guerre mais de « pacification », terme hypocrite désignant les opérations visant à écraser l’assise populaire de l’UPC. Pour « vider l’eau du bocal » qui permettait aux militants indépendantistes de survivre à la répression coloniale, l’armée déporta les habitants des villages dans des camps, instituant dans le sud du pays une Zone de pacification du Cameroun (ZOPAC). Dans cette zone, les militaires français pouvaient tirer à vue sur tout Camerounais circulant en dehors des camps de déportation. Les arrestations arbitraires et la torture se généralisèrent. Les militants arrêtés étaient exécutés sommairement. Le 13 septembre 1958, des officiers français capturèrent et assassinèrent Ruben Um Nyobe. Ils mutilèrent son corps, le traînèrent par les pieds à l’arrière d’un véhicule dans plusieurs villages afin de montrer qu’il était bien mort, avant de l’enterrer dans un lieu secret, coulé dans un massif bloc de béton.
Pendant que l’armée réprimait, Messmer et le gouvernement français sélectionnèrent une couche de dirigeants camerounais à même de prendre le relais de l’administration coloniale. En 1957, une loi du Parlement français créa des gouvernements dans les colonies, et au Cameroun, un exécutif fut constitué. Les postes de vice-premier ministre et de ministre de l’Intérieur furent attribués à Ahmadou Ahidjo, un employé des postes du nord du pays qui avait auparavant siégé dans deux assemblées fantoches mises en place par l’administration coloniale. Sa principale qualité était d’être totalement fidèle à la France. Loin d’être l’œuvre unique des gaullistes, la « Françafrique » a été préparée sous des gouvernements SFIO, qui avaient l’appui du PCF. Un aspect de cette politique consista à morceler l’empire colonial en une multitude d’États qui puissent être contrôlés par l’ancienne puissance coloniale. Ainsi, l’immense Afrique équatoriale française (AEF) fut fragmentée entre le Gabon, le Cameroun, la Centrafrique, le Tchad et le Congo-Brazzaville.
Une indépendance sous tutelle impérialiste
Les indépendances, purement formelles, de chaque pays africain furent organisées pour ne pas être simultanées. Le Cameroun fut le premier de la liste, le 1er janvier 1960. L’armée française continua de former et d’armer les officiers et militaires camerounais. Fort de cet appui, le régime d’Ahidjo put poursuivre et intensifier la guerre contre l’UPC, qui avait dû se replier dans les campagnes pour échapper à la répression. Elle dura jusqu’en 1971. Taxée de terrorisme par le régime comme auparavant par le colonisateur français, l’UPC ne disposait que de très peu d’armes, de quelques fusils, de machettes, de lances et de bâtons. Sa vraie force résidait dans le soutien que lui apportait la grande majorité de la population camerounaise. Le régime allait le faire payer à l’une et à l’autre. Cité dans le livre Main basse sur le Cameroun, le correspondant de l’agence Reuters, Charles Van de Lanoitte, témoignait : « J’ai été écœuré par les abus innombrables d’un vrai régime de Gestapo qui s’est rapidement instauré après l’indépendance […]. Certaines nuits, on entendait là des hurlements de damnés ; le jour, des camions montaient la route, chargés d’hommes enchaînés ; la nuit, vers 3 heures du matin, c’étaient les pétarades et les grincements du camion militaire qui allait au cimetière, où une équipe de prisonniers enterrait les corps, nus et sanglants, des malheureux qui avaient été torturés à mort, et parfois respiraient encore […]. De cruelles représailles ont été souvent exercées aussi contre de pauvres villageois. L’armée arrivait et leur disait : “Vous avez aidé les rebelles, vous allez voir ce qu’il en coûte…”, et c’était la razzia, les filles violées, les enfants battus, les femmes mises nues et fouettées. » Le 15 janvier 1971, le dernier dirigeant de l’UPC encore en vie, Ernest Ouandié, fut exécuté par le régime, après avoir été capturé dans le maquis. Trois semaines plus tard, le président français Georges Pompidou rendit visite à Ahidjo, témoignant de son soutien sans faille.
Le Cameroun devint ainsi un pilier pour l’impérialisme français en Afrique, assurant les bénéfices de ses capitalistes y ayant des intérêts. L’exploitation du pétrole du Cameroun commença en 1977 par la compagnie française Elf, ancêtre de TotalEnergies. En 1982, avec la gauche au pouvoir, Mitterrand manœuvra pour écarter du pouvoir Ahidjo, réputé trop proche de la droite française. Mitterrand était aussi obsédé par la crainte que la France perde son influence au profit des Anglo-Saxons. Paul Biya, Premier ministre d’Ahidjo depuis 1975, le remplaça, grâce notamment à l’appui d’Elf, dont le PDG de 1989 à 1993, Loïk Le Floch-Prigent, dira que « le président Biya n’a pris le pouvoir qu’avec le soutien d’Elf pour contenir la communauté anglophone de ce pays »7. Quarante-trois ans plus tard, Paul Biya est toujours à la tête du pays. C’est pour lui permettre de s’y maintenir encore que Macron, représentant d’un impérialisme français affaibli et contesté en Afrique8, se livre à un exercice de fausse repentance.
8 septembre 2025
1 - Sur ce sujet, on peut lire « Génocide au Rwanda : 27 ans de mensonges et de déni sur la complicité de la France », Lutte de classe no 217 de juillet-août 2021.
2 - Gaston Donnat, Afin que nul n’oublie jamais : l’itinéraire d’un anti-colonialiste, L’Harmattan, 1986.
3 - Second congrès de l’Internationale communiste, thèses et additions sur les questions nationales et coloniales, juillet-août 1920.
4 - Jean Suret-Canale, Les groupes d’études communistes (GEC) en Afrique noire, L’Harmattan, 1994.
5 - Mongo Beti, Main basse sur le Cameroun, Maspero, 1972.
6 - Gaëlle Le Roy et Valérie Osouf, Cameroun, autopsie d’une indépendance, documentaire, 2008.
7 - Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, La guerre au Cameroun, La Découverte, 2016.
8 - Sur ce sujet, on peut lire : « Les déboires de l’impérialisme français dans ses anciennes colonies d’Afrique », Lutte de classe n°231, avril 2023.