La CGT et la marche à la guerre14/09/20252025Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2025/09/une_250-c.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C1354%2C1920_crop_detail.jpg

La CGT et la marche à la guerre

Par ses prises de positions, la CGT apparaît comme un syndicat qui, dans son ensemble, dénonce la marche à la guerre. Mais la plupart de ceux qui dirigent les syndicats qui la composent le font à partir d’une position pacifiste, ignorant le lien entre le capitalisme et la guerre, au pire, en affirmant qu’en cas de conflit il faut bien se défendre et qu’il faut une industrie adaptée à cela. Ainsi le 10 mars dernier, les dirigeants de la confédération ont réagi aux déclarations faites par Macron le 5 mars. On se souvient qu’après les déclarations de Trump excluant les puissances européennes du règlement ukrainien, le président français avait agité la menace d’une guerre avec la Russie, invitant l’Union européenne à se mettre sur le pied de guerre et renouvelant sa volonté de doubler le budget militaire français en cinq ans. Dans leur communiqué, après avoir dénoncé avec des mots soigneusement choisis « toute velléité d’imposer (souligné par nous) une économie de guerre », ces dirigeants confédéraux appelaient « la France et l’Europe à en tirer toutes les conséquences et construire une stratégie commune au plan européen au service d’une diplomatie et d’une défense basées sur le multilatéralisme et indépendantes de l’OTAN ». C’était au fond reprendre à leur manière l’argumentation de Macron.

 

 

En ce qui concerne les budgets militaires, évitant de s’opposer clairement à leur augmentation, les dirigeants confédéraux se contentent de dire qu’il n’est « pas question de les augmenter pour financer le complexe ­militaro-industriel américain », ni que « de l’argent public aille enrichir les actionnaires ». Ces dirigeants, qui affirment dans le même texte qu’il faut « retrouver notre souveraineté », avancent une solution, « l’exigence d’un pôle public de défense et la nationalisation des industries stratégiques », pour y affecter les crédits militaires.

Cet alignement sur la politique militariste du gouvernement n’est pas une surprise. L’appareil de la CGT est depuis près d’un siècle profondément intégré à la société capitaliste et à l’État. Ses instances dirigeantes ne veulent plus les renverser mais prétendent défendre les intérêts des travailleurs en défendant ceux de « l’industrie française » dont ils veulent être, en collaboration avec l’État et le patronat, responsables et gestionnaires. Leur positionnement sur le réarmement est la traduction de cette attitude en ces temps de montée militariste et guerrière.

La CGT face à la Première Guerre mondiale

Il faut remonter aux années qui ont précédé la Première Guerre mondiale et à la CGTU des années 1920 pour voir la direction de ce syndicat défendre une politique internationaliste. À l’approche de la Première Guerre mondiale, la CGT dénonçait la guerre en affirmant la nécessité du renversement du capitalisme. Au congrès d’Amiens, en 1906, une résolution antimilitariste et antipatriotique affirmait : « Dans chaque guerre entre nations ou colonies, la classe ouvrière est dupée et sacrifiée au profit de la classe patronale, parasitaire et bourgeoise. » Lors d’une conférence extraordinaire de 1911, la CGT soutint : « À toute déclaration de guerre, les travailleurs doivent, sans délai, répondre par la grève générale révolutionnaire. » Elle organisa avec le Parti socialiste et les anarchistes de grands meetings contre la guerre en 1911, 1912 et 1913. Et le 16 décembre 1912, une grève générale contre la guerre entraîna 600 000 personnes.

Mais quand la guerre éclata en août 1914, la grande majorité des dirigeants de la CGT, en même temps que ceux du Parti socialiste, cédèrent et se joignirent à la propagande nationaliste et guerrière. Le 4 août, sur la tombe de Jaurès, assassiné le 31 juillet, le secrétaire de la CGT Léon Jouhaux déclara : « Ce n’est pas la haine du peuple allemand qui nous poussera sur les champs de bataille, c’est la haine de l’impérialisme allemand. » La direction du syndicat ralliait ainsi l’Union sacrée et justifiait la barbarie dans laquelle l’impérialisme français jetait les travailleurs. Seuls quelques militants isolés de la CGT, regroupés autour de Pierre Monatte et Alfred Rosmer, maintinrent en France le drapeau de l’internationalisme.

L’après-guerre vit monter la combativité ouvrière et les effectifs syndicaux. En décembre 1921, Jouhaux manœuvra pour diviser la CGT. Les révolutionnaires qui étaient dans le Parti communiste, la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), influencés par les bolcheviks et la révolution russe, créèrent alors la CGTU : U pour unitaire, car ils n’avaient pas voulu cette scission syndicale.

En 1924, Jouhaux participa aux travaux de la Société des nations, l’ancêtre de l’ONU, que Lénine appelait la « caverne de brigands ». Seule la CGTU releva le drapeau de l’internationalisme prolétarien. Elle protesta contre l’occupation de la Ruhr par la France qui voulait ainsi faire payer à l’Allemagne les indemnités de guerre, et organisa aussi une grève le 12 octobre 1925 contre la guerre que menait le gouvernement français dans le Rif marocain à la suite de la révolte anticoloniale d’Abdelkrim al-Khattabi. On compta 900 000 travailleurs en grève, et deux ouvriers furent tués par la police.

L’intégration de la CGT

Le stalinisme donna un coup d’arrêt au développement des partis communistes révolutionnaires dans le monde. La CGT et la CGTU en subirent les conséquences. En France, le pacte Laval-Staline signé en 1935 fut un événement clé dans cette évolution. Le communiqué final affirmait que « M. Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité. » L’Humanité et le PC cessèrent immédiatement leurs campagnes antimilitaristes. Le 14 juillet 1935, le PC manifesta en associant le drapeau tricolore au drapeau rouge et la Marseillaise à l’Internationale. La CGT et la CGTU qui étaient déjà en pourparlers accélérèrent leur réunification qui se fit, sous la direction de Léon Jouhaux, en mars 1936. Quand la grève générale de 1936 éclata, la direction de la CGT réunifiée soutint le Front populaire qui accédait au pouvoir et pesa de tout son poids pour stopper le mouvement spontané de la classe ouvrière. Cette CGT réunifiée sauvait ainsi les intérêts de la bourgeoisie et s’intégrait encore davantage à son État. À partir de ces années-là, elle défendit avec constance la nécessité pour « la France » d’avoir une « défense nationale ». Dans la Résistance alignée derrière de Gaulle, puis à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, elle contribua à remettre en selle l’appareil d’État de la bourgeoisie française.

Cette politique illustrait une évolution plus profonde, qui voyait l’intégration de l’ensemble des syndicats au pouvoir d’État à l’époque impérialiste, une évolution qu’analysa Trotsky en 1940, expliquant la dégénérescence des syndicats par le capitalisme monopolisateur : « [les syndicats] doivent affronter un adversaire capitaliste centralisé, intimement lié au pouvoir de l’État. De là découle pour les syndicats, dans la mesure où ils restent sur des positions réformistes – c’est-à-dire sur des positions basées sur l’adaptation à la propriété privée – la nécessité de s’adapter à l’État capitaliste et de tenter de coopérer avec lui »1. La CGT actuelle illustre parfaitement cette tentative de coopération. Ses propositions de politique industrielle, qu’elles se teintent de militarisme ou de pacifisme, en sont l’expression.

Le pacifisme de la CGT

Depuis les années 1950, les dirigeants de la CGT développent avec constance une politique pacifiste. Après la guerre, le PCF avait fait de la CGT la courroie de transmission de sa politique. Au début de la guerre froide entre le bloc occidental et l’URSS, Jouhaux, co-secrétaire de la CGT avec l’un des dirigeants du PCF, Benoît Frachon depuis 1945, fit scission pour créer la CGT-FO, qui allait devenir simplement FO, avec l’appui financier de l’AFL américaine. La CGT servit alors, par l’intermédiaire du PCF, les besoins de la diplomatie soviétique. Alors que la menace d’une troisième guerre mondiale et du feu nucléaire étaient dans tous les esprits, la fraction majoritaire de la CGT contrôlée par les staliniens du PCF reprenait à son compte l’Appel de Stockholm du 19 mars 1950 qui exigeait « l’interdiction absolue de l’arme atomique » et « l’établissement d’un rigoureux contrôle international pour assurer l’application de cette mesure d’interdiction » et en appelait à « tous les hommes de bonne volonté ». Cette politique qui en appelait aux institutions du monde bourgeois pour assurer la paix était plus proche de celle de Jouhaux que de la politique révolutionnaire de la CGT d’avant 1914. Dans les années 1980, alors qu’elle soutenait la gauche au gouvernement en pleine offensive anti-­ouvrière, elle s’aida du pacifisme pour tenter malgré tout d’afficher quelque indépendance. Au printemps 1982, elle fit ainsi la promotion de l’Appel des cent qui demandait aux États de « négocier à l’Est et à l’Ouest, pour la sécurité des Nations et pour que le désarmement devienne une réalité ».

Au cours de son évolution, la direction de la CGT a complètement dissocié la question de la guerre de celle du capitalisme et de l’impérialisme, détruisant peu à peu toute conscience de classe. Ainsi, elle aime aujourd’hui citer Bernard Lacombe, prêtre-ouvrier faisant partie de la direction de la CGT dans les années 1980, qui affirmait : « Être militant de la Paix, ce n’est pas être faible, manquer de courage ou de lucidité, au contraire, c’est oser la Paix. » Autant ne rien dire. Quand elle cherche une cause aux guerres, la direction de la CGT y met la misère et l’absence de justice sociale, citant à l’envi un de ses anciens secrétaires généraux, Bernard Thibault2, qui affirmait : « Il ne peut y avoir de paix universelle et durable en l’absence de justice sociale. Toute misère, quel que soit l’endroit où elle se situe sur la planète, représente une menace pour la prospérité de tous ».

Dans les pas du réformiste Jouhaux

La secrétaire générale actuelle de la CGT, Sophie Binet, reconnaît la marche actuelle à la guerre, « les bruits de bottes toujours plus assourdissants »3. Elle peut même citer Jaurès mais, à la tête d’un syndicat qui se veut responsable à l’égard de la bourgeoisie, elle s’en remet à l’ONU. Alors que, après avoir été le paravent des puissances impérialistes, celle-ci démontre, de façon de plus en plus manifeste à la suite du désengagement des États-Unis, son inutilité, Sophie Binet s’acharne à répandre des illusions sur son rôle.… Si l’ONU est « condamnée à l’impuissance », dit-elle, c’est « malheureusement ... à cause de son Conseil de sécurité dans lequel les grandes puissances disposent d’un droit de veto ». Faisant comme si la France et l’Europe n’étaient pas impérialistes, Sophie Binet plaide pour qu’elles adoptent « un engagement très clair en faveur de la paix et [soient] fer de lance de la bataille pour le désarmement » en renforçant l’ONU et le multilatéralisme. Le Mouvement de la paix, proche du PCF et de la CGT, propage les mêmes impasses en appelant à une réforme de l’ONU dans laquelle les « organisations non gouvernementales, les syndicats mais aussi les élus locaux, » disposeraient d’un « poids plus important »4, ce dont Netanyahou et Trump se moquent complètement.

D’ailleurs, pour Sophie Binet, le problème de fond n’est pas l’impérialisme mais la montée de ce qu’elle appelle « l’internationale d’extrême droite » au pouvoir, dont la conséquence est la fragilisation de « l’ordre mondial construit en 1945 pour empêcher le fascisme et la guerre »5.

Tous ces propos ne font que désarmer les travailleurs face à la bourgeoisie. Ils ne leur offrent que des illusions réformistes, la plus néfaste d’entre elles étant qu’ils pourraient compter sur les politiciens bourgeois. De tels dirigeants syndicaux contribuent ainsi encore une fois à saper toute conscience de classe.

Certains dirigeants, comme les rédacteurs de l’édition de mai 2025 du mensuel Ensemble de la CGT, affirment que la croissance des budgets militaires n’est qu’un « militarisme de convenance » qui sert de « bon prétexte » pour remettre en cause les droits sociaux. Selon eux, on est bien loin en France d’une économie de guerre, puisqu’en qu’en Ukraine, les dépenses militaires représentent 58 % de la dépense publique, alors qu’en France, c’est entre 10 et 15 %. Oui, c’est vrai, mais la bourgeoisie française, comme l’ensemble des bourgeoisies d’Europe, sait qu’elle va être définitivement dépassée, déclassée dans la compétition mondiale si elle ne se donne pas les moyens d’intervenir dans les conflits qui déchirent la planète. L’augmentation des budgets militaires n’est donc pas un « militarisme de convenance », mais le produit d’un capitalisme mondial en crise. Bien sûr, il revient aux gouvernements de faire payer la hausse de ces dépenses à la population, en remettant notamment en cause ce qu’il reste de droits sociaux.

Des solutions industrielles… militaristes

Pour des dirigeants de la CGT qui ne raisonnent qu’en termes de solutions industrielles compatibles avec le patronat, le réarmement est en fait une opportunité : c’est la « reconversion ou la mort », a écrit Ensemble6. Sont citées les Fonderies de Bretagne, Valdunes, Aubert et Duval qui n’auraient été « sauvées » qu’en réorientant leur activité vers l’armement. Le choix serait « cornélien » mais, disent ces dirigeants pour s’excuser, la CGT doit « composer avec ces ambiguïtés ». D’ailleurs, aux Fonderies de Bretagne, seuls « deux ou trois salariés ont démissionné » à la suite de la reprise du site par le marchand d’obus Europlasma. Alors, pourquoi ne pas défendre ces projets de reconversion industrielle dans l’armement ? En réalité, ces dirigeants syndicaux vont plus loin. Ils accompagnent voire anticipent de tels choix, et font vibrer s’il le faut la corde patriotique. Dans le cas de Vencorex, entreprise de chimie travaillant en partie pour la défense et menacée de fermeture par ses propriétaires thaïlandais, Sophie Binet a joint sa voix à Hollande et Mélenchon pour demander la nationalisation de l’entreprise puis sa transformation en coopérative au nom de la dissuasion nucléaire française et pour défendre « notre indépendance ». Ce discours nationaliste ne peut que brouiller les consciences et détourner les travailleurs de leurs vrais ennemis et des moyens de les faire plier.

Bien sûr, il faut s’opposer aux licenciements, mais dans une logique de lutte de classe. La reprise des Fonderies de Bretagne par Europlasma pour produire des obus est présentée par la CGT comme une victoire des luttes. Or, si Europlasma a repris le site, c’est surtout en raison des subventions et des commandes étatiques qui lui garantissent du profit pendant quelque temps. Avec l’arrivée de ce repreneur, les 266 travailleurs des Fonderies ont sans doute le sentiment d’avoir sauvé leur emploi, mais des militants défendant les intérêts politiques de la classe ouvrière n’auraient pas présenté cette reprise comme une victoire. Ils auraient appelé les travailleurs à s’organiser face à leur nouveau patron, comme face à l’ancien, tout en affirmant la nécessité de renverser ce système barbare qui les contraint à suer du profit en produisant des engins de mort pour continuer à vivre. Dans la société bourgeoise, la classe capitaliste détient le monopole des capitaux et le pouvoir. C’est elle qui décide de tout, en fonction de ses intérêts. Et avec la montée à la guerre, nombre d’entreprises abandonnent les marchés dits civils pour les marchés militaires. Une telle distinction, entre civil et militaire, n’est d’ailleurs pas juste, car les deux secteurs sont étroitement mêlés, les productions pour les uns servant aux autres et réciproquement. Dans tous les cas, les « solutions industrielles » qui débouchent ne peuvent être que des solutions du patronat.

Les travailleurs, qui doivent se battre pied à pied contre toutes les attaques du patronat, doivent le faire en opposant clairement les intérêts des travailleurs et ceux des patrons. Dans la société bourgeoise, les travailleurs ne peuvent gagner leur vie que là où les capitalistes trouvent intérêt à les exploiter, que les entreprises soient publiques ou privées, d’ailleurs. Quel que soit le marché visé par ces entreprises, il faut s’opposer au surtravail, qui épuise les têtes et les corps, en dénonçant les augmentations de cadences ou les charges de travail insupportables. Il faut bien sûr se battre pour les salaires mais il faut aussi revendiquer le contrôle des travailleurs sur ces entreprises, l’ouverture des livres de comptes et la réquisition des profits, encore plus si ces entreprises sont alimentées par les marchés de la « défense nationale ». Ces revendications doivent dans tous les cas s’accompagner d’une dénonciation générale de la marche à la guerre, affirmant que si les travailleurs ne renversent pas l’ensemble du système en prenant le pouvoir, leurs enfants ou eux-mêmes seront un jour ou l’autre appelés au front pour y défendre les intérêts de la classe dominante.

Des syndicats nationalistes et militaristes

Opposer systématiquement les travailleurs au patronat et à l’État n’est pas la politique de bien des syndicats, chez qui le militarisme et le nationalisme s’expriment à plein, au nom de l’emploi. Ainsi, sur les sites Ariane­Group, alors que certains syndicats dénoncent la marche à la guerre et font le lien avec le capitalisme pourrissant, d’autres se sont engouffrés dans la politique militariste du gouvernement sous prétexte de s’opposer aux suppressions d’emplois. Ces dirigeants syndicaux écrivaient ainsi en juillet 2021 : « Aura-t-on réussi le premier tir d’Ariane et aura-t-on encore les compétences pour relancer la production en phase industrielle quand les besoins de satellites militaires français et européens seront effectifs ? » En raisonnant du même point de vue que la direction d’ArianeGroup et que l’État, ceux qui ont écrit cette déclaration se font le vecteur des idées de la bourgeoisie dans les rangs ouvriers.

Sophie Binet est sur la même longueur d’ondes, bleu-blanc-rouge. Pour elle, les crédits militaires doivent avant tout permettre de défendre l’industrie européenne et nationale. « Ce n’est pas possible [...] d’augmenter les crédits militaires pour aller financer l’industrie américaine », a-t-elle déclaré, « on ne peut pas nous parler matin, midi et soir d’économie de guerre et laisser mourir notre industrie. »7

Le patron de Dassault est appuyé par la direction du syndicat CGT de l’usine de Cergy, dans le Val-d’Oise. Dans un tract du 28 janvier, cette direction reprend les arguments du patron : « Acheter un Rafale, c’est garder sa souveraineté » et « Si le Rafale existe aujourd’hui, c’est parce que les élus CGT ont défendu l’idée d’un avion franco-français dans toutes les instances politiques au début des années 80. »

Chez Thales, la direction de la CGT s’est associée aux autres directions syndicales pour reprocher à la direction de l’entreprise un manque d’investissement, au nom du fait que « ça ne permettrait pas à Thales de participer de façon correcte à l’effort que demanderait une éventuelle entrée en économie de guerre ». Lors du récent conflit de 14 semaines à l’usine Thales Mérignac sur les salaires, une partie des syndicalistes ont distillé le poison chauvin et militariste en arguant que les grévistes voulaient « leur part du gâteau » et que « l’effort de guerre ne doit pas servir à enrichir seulement les actionnaires ». Dans la même veine, des militants de la CGT et du PCF ont avancé que les salariés de Thales devaient être augmentés parce qu’ils sont « essentiels » à la défense et au réarmement ! Le PCF a préconisé la montée de l’État au capital de Thales, c’est-à-dire une nationalisation. Mais c’est pourtant quand l’entreprise était nationalisée, de 1982 à 1998, avant d’être revendue à Dassault, que les restructurations et les suppressions d’emplois se sont enchaînées.

Les sentiments anti-guerre des militants du rang

Dans les entreprises, la perspective servie par Sophie Binet est de mettre « l’industrie d’armement sous contrôle démocratique et public ». Quant à savoir qui contrôlerait ce pôle public, Ensemble répond que c’est « au Parlement » d’établir « un contrôle strict de la production et de la commercialisation des armes ». L’État ne serait donc pas l’instrument de la classe capitaliste mais est présenté aux travailleurs et militants comme un organisme au-dessus des classes sociales, sur lequel ils pourraient faire pression, voire par lequel ils pourraient faire passer leurs intérêts, par le jeu démocratique. C’est les enchaîner à ceux qui les enverront au front.

Les militants qui sont à la CGT et aussi au PCF font campagne à l’intérieur de la Confédération sur le thème « paix et désarmement ». Ils sont capables de dire avec Anatole France « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour les industriels », de dénoncer la hausse des budgets militaires… mais de conclure à la nécessité de la « défense nationale ». Ces militants enferment ainsi les travailleurs dans ce dilemme – plus d’argent pour « défendre la nation » ou moins d’argent en désarmant – car ils sont bien incapables de se positionner en termes de lutte de classe.

Nombre de travailleurs sentent confusément que l’augmentation des budgets militaires signifie un avenir de guerre. Nombre de militants font le lien entre ces budgets qui augmentent et la guerre qui s’installe dans l’actualité. La légitimation de la « défense nationale » au nom de la paix est un argument par lequel la direction de la CGT prépare les travailleurs à se mettre à la suite du gouvernement dans la guerre de demain. On le sait, les guerres, même les guerres impérialistes, sont toujours présentées comme des guerres de « défense nationale ».

Quant à la revendication du désarmement, elle peut trouver l’oreille des militants et de travailleurs inquiets, mais elle ne règle rien. Elle est une autre manière de maintenir l’illusion de la possibilité d’un monde capitaliste sans guerre, alors que le militarisme est indissociable du capitalisme. Le problème, ce ne sont pas les armes en soi, mais ceux qui les commandent et les intérêts qu’elles servent. Une véritable paix est impensable sans le renversement de la bourgeoisie et de ses États et un tel renversement est impossible sans l’armement du prolétariat et la conquête révolutionnaire du pouvoir par la classe ouvrière, à commencer dans les pays les plus riches de la planète.

D’autres militants inquiets de la marche à la guerre défendent l’idée qu’il faut reconvertir les entreprises d’armement en activités civiles. Ils peuvent reprendre la politique industrielle de la CGT affirmant, très rarement, qu’il faut doubler les activités militaires d’un NavalGroup d’une activité civile de déconstruction de navires en fin de vie, ou bien se servir de la technologie avancée de Thales pour le secteur médical. Sans discuter de la marche de l’ensemble du système, de la nature de classe de l’État, c’est retomber ainsi dans les mêmes illusions d’une société capitaliste compatible avec la paix.

Il en va de même de l’opposition à la hausse des budgets militaires. Cette opposition est bien sûr légitime. Mais elle doit être poussée jusqu’au bout, c’est-à-dire à expliquer que leur hausse n’est pas le fruit d’une mauvaise politique mais d’un capitalisme en crise que les travailleurs doivent renverser. Dans sa brochure Guerre à la guerre8, l’Union départementale du Val-de-Marne critique la politique des dirigeants de la CGT, fait le lien entre capitalisme et guerre, dénonce l’impérialisme américain et même français. Mais, tout en affirmant que la CGT doit renouer avec son passé révolutionnaire, elle date l’ « affaiblissement de l’attachement de la CGT à sa tradition antimilitariste et anti-impérialiste » de seulement une « vingtaine d’années », c’est-à-dire de la perte d’influence du PCF sur la CGT. Au mot « révolutionnaire », elle n’associe aucun contenu de classe, et encore moins le pouvoir des travailleurs. Plus dans la tradition stalinienne que dans celle de Monatte et de Rosmer, elle met en avant dans ses affiches une perspective nationale et réformiste : « Ni guerre, ni austérité, désengageons notre pays des guerres impérialistes », dit-elle, comme si c’était possible sans que les travailleurs renversent le capitalisme.

L’expression d’une défiance envers l’impérialisme

Au nom de la « défense nationale » et de leur politique industrielle, et alors qu’on n’en est encore qu’au début de cette phase de réarmement, les dirigeants de la CGT ont d’ores et déjà rallié la politique militariste de l’État. Les travailleurs et les militants de la CGT qui sentent que la montée des budgets militaires prépare la guerre de demain, qui pensent que, pendant qu’ils s’épuiseront à produire des armes, leurs enfants, si ce n’est eux-mêmes, seront appelés à mourir sur les champs de bataille, ne trouveront pas d’appui du côté de la confédération ou des fédérations du syndicat pour s’opposer à la marche à la guerre. Au contraire, ils se heurteront à l’appareil du syndicat qui se met d’ores et déjà en ordre de marche pour une nouvelle politique industrielle, cette fois-ci militaire.

Dans la bouche des dirigeants syndicaux de la confédération, le pacifisme est une couverture de l’impérialisme. En revanche, comme le dit Trotsky, le pacifisme des travailleurs et des militants du rang est une réaction légitime, « l’expression confuse de la défiance envers l’impérialisme »9. Cette réaction doit être une étape vers la conscience que la société capitaliste mène l’humanité à la guerre et qu’il n’y a que les travailleurs, en prenant le pouvoir, en renversant le système dans son ensemble, qui puissent en finir avec les guerres. Réimplanter une telle conscience ne peut être que l’œuvre de militants communistes révolutionnaires.

8 septembre 2025

1Trotsky, Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, août 1940.

2De 1999 à 2013.

3Discours à la Conférence pour la paix et le désarmement, le 23 janvier 2025.

4Ensemble, mai 2025.

5Déclaration de la CGT du 10 mars 2025.

6Ensemble, mai 2025.

7Déclarations relayées par la presse le 7 mars dernier.

8En date de juin 2025, disponible en ligne sur le site https://udcgt94.fr/guerre-a-la-guerre/

9Trotsky, Programme de transition, 1938.

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