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Derrière la crise politique, la guerre sociale
La chute du gouvernement Bayrou, auquel le 8 septembre 364 députés, dont certains du groupe LR qui appartenaient à son « socle commun », ont refusé la confiance, est un nouvel épisode de la crise politique qui se prolonge depuis la réélection de Macron à l’Élysée en 2022. Si la dissolution de juin 2024, avec toutes les manœuvres politiciennes qui l’ont accompagnée, a aggravé cette crise en émiettant l’Assemblée nationale en plusieurs blocs rivaux dont aucun n’a de majorité, celle-ci illustre une crise plus profonde de la démocratie bourgeoise dans une période où le système capitaliste est devenu sénile.
À peine Bayrou chassé, Macron l’a remplacé par Sébastien Lecornu, ex-ministre des Armées, fidèle macroniste venu de la droite, avec la mission de former un gouvernement capable de faire passer le budget 2026 sans être immédiatement censuré. Avec cette nomination, Macron affirme avec morgue le maintien de sa ligne politique qui consiste à défendre les intérêts de la classe capitaliste en mettant les caisses de l’État à sa disposition, en réduisant la part des richesses qui revient, sous une forme ou sous une autre, aux classes populaires, et en facilitant par tous les moyens l’exploitation des travailleurs. À charge pour Lecornu de trouver un enrobage de son budget qui lui permette d’obtenir la neutralité sinon le soutien du PS, prêt à bien des contorsions, ou du RN, partagé entre sa base « dégagiste » et sa quête de respectabilité vis-à-vis du grand patronat.
Sauvegarder les profits patronaux aux dépens de la classe ouvrière
Dans ce système capitaliste en crise, où la concurrence est de plus en plus féroce, les profits du grand patronat ne peuvent être sauvegardés que si l’État lui fournit de l’aide, et donc en taillant dans les budgets des hôpitaux, de la Sécurité sociale, des collectivités locales, etc. C’étaient les exigences formulées par le président du Medef au lendemain de l’accord conclu le 27 juillet entre Trump et von der Leyen fixant à 15 % les taxes sur les produits européens exportés aux États-Unis. C’était le fondement du plan Bayrou qui prévoyait 44 milliards d’euros de coupes budgétaires qui auraient été intégralement supportées par les classes populaires.
Au fond, cette politique sera évidemment poursuivie quel que soit le prochain gouvernement et même quelle que soit la majorité qui pourrait sortir des urnes si Macron, en cas d’échec de Lecornu, était finalement obligé de dissoudre de nouveau l’Assemblée nationale. Cette politique serait, bien sûr, celle du RN qui vient d’envoyer une Lettre aux entrepreneurs de France, dans laquelle il leur promet des coupes budgétaires à hauteur de 100 milliards d’euros, des suppressions de postes de fonctionnaires par centaines de milliers et un « choc fiscal positif », c’est-à-dire de nouvelles exonérations d’impôts. Mais elle serait aussi menée par un éventuel gouvernement des partis de gauche. S’ils prétendent aujourd’hui vouloir taxer, un peu, les riches, on sait qu’ils s’aplatiront demain devant eux, comme ils l’ont fait à chacun de leurs passages au pouvoir.
Tous les députés de l’Assemblée nationale, y compris ceux de LFI et du RN, ne jurent que par l’intérêt national, c’est-à-dire en fait les intérêts de la classe capitaliste qui domine la société. La plupart des partis sont allés témoigner respectueusement de leur compréhension des intérêts du patronat lors des journées de rentrée organisées par le Medef, les 17 et 28 août. Quand ils n’ont pas gouverné ensemble, quand ils n’ont pas appartenu, à un moment ou un autre, au même parti, ces politiciens se sont succédé au pouvoir, les uns terminant les mesures entamées par les autres.
Ce ne sont pas leurs convictions qui empêchent les différents partis de former une grande coalition pour mettre en œuvre, ensemble, la politique réclamée par la bourgeoisie, ce que déplorent les commentateurs qui comparent avec la situation dans d’autres pays. Ce sont les petits calculs à court terme des uns et des autres, leurs rivalités dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027 ou de nouvelles élections législatives anticipées, qui les ont poussés à censurer Bayrou et qui les conduiront à soutenir, ou au contraire à entraver, Lecornu.
Aux yeux du patronat, qui dénonce une nouvelle fois « l’instabilité » et « l’incertitude » dommageables pour les affaires et le report des réformes et de l’application des lois qu’il attend, les dirigeants politiques, Macron en tête, sont des irresponsables. Cette irresponsabilité, en tout cas cette incapacité à gérer la situation aussi efficacement que le voudrait le patronat, ne résulte pas seulement de l’égocentrisme buté de Bayrou ou de la « psyché de Macron », pour reprendre une formule du journal Le Parisien du 8 septembre. Elle résulte, en partie, du système politique qui s’est établi en France, au fil des crises et des guerres, qui accorde un rôle prédominant au président de la République ou de l’ostracisation de l’extrême droite pendant plusieurs décennies. Elle résulte, surtout, de l’impasse dans laquelle se trouve le système parlementaire dans cette période de crise économique profonde. Pour que la démocratie bourgeoise fonctionne sans à-coups, pour qu’une écurie politicienne puisse remplacer sans heurt celle qui s’est usée au pouvoir, il faut que les gouvernements aient quelques motifs de satisfaction à fournir à leurs électeurs. Pour se faire élire – et surtout réélire – il faut que les députés aient autre chose que « du sang et des larmes » à promettre aux classes populaires.
Crise politique et crise économique
Or l’économie capitaliste est dans la même impasse que celle qui a déjà conduit à deux guerres mondiales. Les capitalistes ont un besoin permanent de débouchés pour leurs capitaux. Ils doivent pouvoir réinvestir sans cesse leurs profits pour en réaliser de nouveaux. Ceux qui n’y arrivent pas font faillite ou sont absorbés par les plus gros. Les grandes entreprises sont devenues des multinationales pouvant produire bien plus que ce que leur marché national d’origine peut absorber. Elles s’affrontent sur un marché mondial qui s’accroît bien moins vite que leurs capacités de production. Cette concurrence de plus en plus dure et acharnée engendre les guerres commerciales entre pays rivaux et les guerres militaires ensuite.
Le système capitaliste se débat dans des contradictions qui se traduisent par un ralentissement de la croissance et des gains de productivité. Cela entraîne la financiarisation de l’économie. Sur le terrain du climat et de l’environnement, l’irresponsabilité des capitalistes tient, au sens propre, du principe « après-moi le déluge ». Elle engendre des catastrophes de plus en plus graves, à l’image des orages cataclysmiques et des incendies géants qui ont frappé de nombreux pays ou de la pollution des continents et des océans.
Pour dominer le monde, accéder aux matières premières, écarter des concurrents menaçants, le cynisme et la brutalité prévalent, comme Trump l’illustre au quotidien. Trump n’est pas fou, il n’est pas juste mégalomane : il est le vrai visage de l’impérialisme. Dans la jungle qu’est le marché capitaliste, celui qui possède le plus de capitaux impose ses règles. Trump, représentant de l’impérialisme le plus puissant, a sorti le gros bâton du protectionnisme pour tenter de renforcer les capitalistes américains dans un système en crise. Ses concurrents, même quand ils s’appuient sur des États qui se veulent alliés des États-Unis, n’ont d’autre choix que de s’y plier.
Dans ce contexte, pour maintenir leurs profits, la seule solution pour les capitalistes est d’aggraver l’exploitation. Si les plus gros d’entre eux, américains ou pas, seront les gagnants des nouvelles règles du commerce international, les perdants seront à coup sûr les classes populaires, à commencer par celles des États-Unis qui subissent déjà les conséquences de l’inflation. S’ils restent passifs, les perdants seront les travailleurs du monde entier dont les salaires seront inéluctablement écrasés, les cadences de production intensifiées, le temps de travail rallongé, alors que les emplois seront supprimés, les retraites amputées. Voilà le programme obligatoire de tous les prochains gouvernements.
C’est aussi parce qu’ils n’ont que des coups à offrir aux classes populaires que les gouvernements sont de plus en plus ouvertement réactionnaires. Redoutant en permanence une révolte sociale, ils cherchent à la dévier et usent pour cela de la démagogie raciste, xénophobe ou communautaire en semant la division parmi les exploités, en alimentant la haine des immigrés, des étrangers ou des musulmans, en stigmatisant ceux qu’ils dénomment des assistés. Cette politique de division, au sein de la classe des travailleurs, ou entre la classe ouvrière et la petite-bourgeoisie frappée par la crise, a été la bouée de secours de la bourgeoisie dans toutes les périodes de crise. Macron, Darmanin ou Retailleau, usent sans retenue du procédé, sans même que Le Pen, Bardella ou Ciotti soient parvenus au pouvoir.
Autoritarisme et marche à la guerre
Les prochains gouvernements devront donc être de plus en plus autoritaires. La politique de Trump aux États-Unis, qui terrorise les étrangers, y compris ceux qui ont des papiers en règle, intimide les opposants à sa politique et accuse de terrorisme ceux qui critiquent son soutien sans faille aux crimes israéliens, fournit un modèle aux dirigeants des prétendues démocraties occidentales.
Cette évolution autoritaire est à relier à l’évolution vers une prochaine guerre générale, de plus en plus évidente, y compris aux yeux de travailleurs peu politisés. Les tensions et les guerres qui ravagent le monde alimentent cette inquiétude. Au Moyen-Orient, Israël poursuit ses guerres avec toujours plus de barbarie. Après s’être attaqué au Liban, à la Syrie, au Yémen, à l’Iran, Netanyahou a visé le Qatar. Il a lancé une nouvelle offensive dans le nord de Gaza, chassant pour la énième fois des habitants affamés et bombardant systématiquement les immeubles qui n’avaient pas été détruits. À chaque étape, il est soutenu par les États-Unis. En Ukraine, pour avoir leur part du gâteau, les dirigeants européens, Macron et Starmer en tête, écartés des négociations entre Trump et Poutine, veulent envoyer des troupes. S’appuyant sur les actes crapuleux de Poutine, qui multiplie les tirs contre des civils et envoie des drones jusqu’en Pologne, ils alimentent une campagne d’agitation autour de « la menace russe ».
Quand ce n’est pas la Russie qui est présentée comme une menace, c’est la Chine. Ainsi le défilé militaire organisé par Xi Jinping, le 3 septembre à Pékin, a été présenté comme la preuve que la Chine serait la principale menace contre la paix dans le monde. Mais, si Xi Jinping a certes voulu démontrer que son pays a les moyens de résister aux pressions de l’impérialisme américain, les États-Unis, avec un budget militaire de 1 000 milliards de dollars contre 300 pour la Chine, sont bien plus menaçants.
Même si les dirigeants des États ne savent pas encore contre qui ils préparent la guerre, tous augmentent leurs budgets militaires. Sous la pression américaine, les pays de l’Otan se sont engagés à porter ce budget à 5 % de leur PIB d’ici 2035. Pour la France, cela porterait ce budget à 120 milliards d’euros, plus du double de ce qu’il est aujourd’hui, après qu’il a déjà augmenté de plus de 50% depuis 2017 ! C’est aussi pour dégager ces fonds que des coupes seront faites dans la santé et tous les services utiles à la population, quel que soit le prochain gouvernement. Sur ce terrain, les opposants à Macron, que ce soit le RN ou LFI, sont au garde-à-vous pour réclamer des moyens supplémentaires pour financer des engins de mort, à condition qu’ils soient « made in France ».
Ces milliards ne sont pas dépensés simplement pour enrichir les marchands d’armes, tricolores ou pas. Les campagnes militaristes ne sont pas une simple mise en condition pour faire accepter des sacrifices à la population. Le Canard enchaîné du 26 août dernier a révélé qu’une note du ministère de la Santé enjoignait aux agences régionales de santé de mettre en place, d’ici mars 2026, un plan pour que les hôpitaux puissent accueillir jusqu’à 500 000 blessés de guerre. Cette note met en lumière que les chefs d’état-major et les ministères préparent méthodiquement la prochaine guerre.
Quelle réponse de la classe ouvrière ?
Aucune des menaces qui pèsent sur la classe des travailleurs, que ce soient les plans d’attaques qui se succèdent, contre ses conditions de vie et de travail, son accès à un emploi, un logement, un salaire ou une pension décente, des soins médicaux abordables, ou, plus fondamentalement, la marche à la guerre, ne pourra être enrayée sans arracher la direction de la société aux capitalistes. Il ne suffira pas, pour les écarter, de remplacer les politiciens haïs par d’autres qu’on n’aurait jamais essayés ou par ceux qui promettent un peu plus de justice sociale.
La tâche des communistes révolutionnaires est de défendre inlassablement l’idée que rien ne changera dans la société si la classe des travailleurs n’affronte pas la classe capitaliste. Il ne s’agit pas seulement de défendre leurs revendications vitales, celles qui visent à défendre leurs conditions de vie, leur salaire, leur emploi, il s’agit de contester la propriété bourgeoise sur les plus grandes entreprises de production, de distribution et sur les banques. Il faut, face à la crise, qu’elle devienne capable de prendre elle-même la direction de la société.
Le gouffre est immense entre ce programme, exigé par la situation générale, et le degré actuel de conscience et de politisation des travailleurs. Ce gouffre est le résultat des décennies de trahison et d’intégration dans l’État de la bourgeoisie des organisations, partis et syndicats, engendrées par le mouvement ouvrier. Mais il est inutile de le regretter, il faut s’atteler à rebâtir en s’appuyant sur ce qui demeure le précieux capital politique hérité des expériences révolutionnaires du passé, formulé par Marx, Lénine, Trotsky et d’autres dirigeants marxistes.
Il faut souhaiter, face aux attaques qu’elle subit, que la classe ouvrière réagira, retrouvera le chemin de la lutte de classe. Mais dès qu’une mobilisation sociale se fait jour, le premier problème qui se pose est celui de sa direction. Il est vital que les travailleurs créent leurs propres comités, leurs propres organes, pour les diriger et se placer à la tête des révoltes sociales. La classe ouvière est en effet la seule classe à pouvoir mener jusqu’au bout le combat pour le renversement du capitalisme et pour instaurer une société sans exploitation. Dans cette voie, elle aura contre elle non seulement l’État et toutes ses institutions, préfets, police, justice, armée… mais aussi tous les chefs des syndicats et des partis qui défendent l’ordre social bec et ongles.
À cet égard, ce qui s’est produit le 10 septembre, journée annoncée en riposte au plan Bayrou, est significatif. Cette date a émergé sur les réseaux sociaux, lancée par des collectifs divers, avec des objectifs et des modes d’action aussi variés que flous : blocages, boycotts, voire confinements… Elle n’a pas été posée d’en haut, par les syndicats ou les partis officiels, mais a été relayée par en bas et a eu un écho assez large dans des milieux populaires, allant d’anciens participants au mouvement des gilets jaunes à des travailleurs isolés ou de petites entreprises, éloignés des milieux syndiqués. Sans surprise, les directions syndicales ont commencé par dénigrer ces appels car elles n’en avaient ni l’initiative ni le contrôle. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, les a qualifiés de « nébuleux », tandis que Marylise Léon, de la CFDT, dénonçait ces « appels à la désobéissance », tout en recevant Bayrou à l’université d’été de son syndicat. Et si la CGT et de nombreuses organisations syndicales ont finalement appelé à participer à cette journée, les directions syndicales ont surtout décidé de répondre à cette initiative qui leur échappait en appelant à une grève nationale le 18 septembre. C’était affirmer clairement que tout appel à une riposte doit émaner d’elles et que celle-ci doit rester en tout cas sous leur contrôle.
Dans toute la période qui vient, les travailleurs devront donc apprendre à mettre en avant leurs propres revendications, à utiliser leurs propres moyens d’action à commencer par la grève, et surtout à se donner les moyens de se diriger eux-mêmes, sans s’en remettre ni aux directions syndicales, locales ou nationales, ni aux partis qui cherchent à se donner une image d’opposants pour mieux les dévoyer, ni à quelque direction autoproclamée que ce soit.
Les militants révolutionnaires auront un rôle fondamental à jouer pour aider les travailleurs en lutte à s’organiser indépendamment des centrales syndicales et des partis qui feront tout pour prendre la tête des contestations et les trahiront à coup sûr. Dans cette période où les attaques patronales et gouvernementales vont s’ intensifier, fournissant autant de motifs à de possibles ripostes ouvrières, la question des objectifs, des moyens d’action et du contrôle de la direction de leurs luttes par les travailleurs eux-mêmes, sera primordiale.
12 septembre 2025