Été 1955, Nantes – Saint-Nazaire : des grèves contagieuses pour les salaires10/09/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/09/une_2980-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1265%2C1644_crop_detail.jpg

il y a 70 ans

Été 1955, Nantes – Saint-Nazaire : des grèves contagieuses pour les salaires

En 1955, les métallurgistes nazairiens menèrent une lutte de plusieurs mois pour les salaires. Ils subissaient une inflation de plus de 7 %, alors que leurs salaires étaient jusqu’à 30 % inférieurs à ceux de la région parisienne, et vivaient dans des taudis depuis les bombardements alliés de la fin de la guerre.

L’agitation commença au chantier naval nazairien le 21 février par l’élection, par les soudeurs, de comités de lutte dans les différents ateliers, comprenant des travailleurs syndiqués et non-syndiqués. Ils organisèrent pendant trois mois des grèves de 24 heures contre la baisse du boni, la prime au rendement.

Le 20 juin, ils furent rejoints dans la grève par tous les travailleurs du chantier et entraînèrent plus de 15 000 métallos nazairiens, dont ceux de la SNCASO, ancêtre d’Airbus. Dès le lendemain, des affrontements eurent lieu avec les CRS qui tentaient d’occuper le chantier. De leur côté, les organisations syndicales CGT, FO et CFTC, appelèrent au calme et à la poursuite des négociations. Les jours suivants, grèves et débrayages se succédèrent.

Le 9 juillet, les chantiers fermèrent pour les congés annuels mais après le retour, le 1er août, les débrayages reprirent et, en réponse à la menace du patron de baisser les heures de travail et donc les salaires, les ouvriers décidèrent d’occuper les chantiers. Pendant que CRS et gardes mobiles convergeaient vers le terre-plein de Penhoët, qui se trouve devant le chantier, les ouvriers dressèrent des barricades. La sirène des chantiers ameuta les autres usines et la population. Une bataille rangée s’engagea. Une cinquantaine de travailleurs furent blessés, l’un d’eux grièvement, une main arrachée par une grenade.

Dans la nuit du 2 au 3 août, le lock-out fut levé et les ouvriers suivirent les consignes syndicales de reprise du travail. Les jours suivants, des débrayages continuèrent tandis que les négociations avaient lieu à Paris, pour échapper à la pression des grévistes.

Le 7 août, les syndicats signèrent un accord, en présence du ministre du Travail du gouvernement radical d’Edgar Faure, sur des propositions que les travailleurs refusèrent à plusieurs reprises. Le 16 août, les ouvriers finirent par se prononcer à 81 % pour l’acceptation d’une augmentation moyenne de 22 %. Le salaire horaire d’un ouvrier qualifié P3 était alors de 175 francs, celui d’un OS de 136 francs et l’accord les remontait respectivement à 215 francs et 170,62 francs.

Les grévistes nazairiens ayant montré la voie, ils furent suivis par les travailleurs du bâtiment et de la métallurgie nantaise, revendiquant une augmentation de 40 francs de l’heure.

Lock-out préfectoral… et riposte ouvrière

Ainsi, le 17 août, toutes les entreprises métallurgiques de Nantes débrayèrent. Les travailleurs envahirent le siège du syndicat patronal et obtinrent les 40 francs mais le soir, le préfet annonça la dénonciation de l’accord le lock-out de toutes les usines et la rupture des négociations engagées avec les travailleurs du bâtiment. Les CRS, arrivés par wagons, occupèrent les usines et tous les cafés nantais furent fermés.

Le 18 août, indignés, les travailleurs lockoutés marchèrent sur la préfecture et se heurtèrent aux CRS. Le centre-ville fut transformé en champ de bataille. Le lendemain, les heurts se reproduisirent ; les CRS tuèrent, d’une balle en pleine tête, Jean Rigollet, un travailleur du bâtiment.

Les négociations furent délocalisées à Rennes et le comité d’action intersyndical pesa pour la reprise du travail. Il y réussit mardi 23 août, après un référendum donnant 5 300 voix pour la reprise, 1 400 contre, 13 000 travailleurs s’abstenant. La CFTC trouvait « anormal d’être ainsi dépassée » et Force ouvrière avait accepté tout de suite les propositions. Quant à la CGT, son langage fut plus radical, dénonçant l’attitude du patronat lorsqu’il refusait de la faire participer aux négociations, mais elle cautionna cette politique. De son côté, le journal L’Humanité du 22 août rappelait à propos de l’accord signé : « Est-ce que nous sommes près d’en passer de nouveaux ? Bien sûr. Le programme d’action élaboré et voté au récent congrès de la CGT contient toute une série de revendications que nous avons bien l’intention de faire reconnaître, soit par la signature des patrons, soit par les lois. »

L’extension de la grève

Cependant, ailleurs dans le pays, l’augmentation des salaires obtenue à Saint-Nazaire encouragea les travailleurs à revendiquer. À partir de la fin août, des débrayages, grèves de 24 heures et grèves illimitées avec occupation se multiplièrent.

Ainsi, le 26 août, les métallurgistes de Brest obtinrent une augmentation de 25 à 41 francs. Aux Forges de Basse-Indre, le 8 septembre, l’augmentation fut de 20 à 42 francs et en Seine-Maritime, de 32 à 40 francs. Les travailleurs du bâtiment de Lorient, les sidérurgistes et les mineurs de Lorraine, les mineurs du Gard, les métallos d’Angers, de Limoges, des chantiers navals de La Seyne obtinrent aussi partiellement satisfaction. Ces mouvements cependant restèrent éparpillés et ne touchèrent quasiment pas la région parisienne.

À Nantes, le 7 septembre, les entreprises furent de nouveau lockoutées pour couper court à l’agitation ouvrière et les CRS investirent la ville. Le conflit se situant en pleine guerre d’Algérie, Faure, Président du conseil, déclara à une rencontre avec les dirigeants syndicaux : « Vous m’obligez à maintenir des CRS à Nantes alors que j’en ai tellement besoin en Afrique du Nord. »

Le 12 et le 19 septembre, d’imposantes manifestations se déroulèrent et des incidents eurent lieu tandis que les travailleurs revendiquaient, outre les augmentations de salaires, le retrait des licenciements annoncés après le 17 août. Des manifestations violentes se renouvelèrent le 29 septembre. Lorsque, le 3 octobre, les patrons acceptèrent la signature, entreprise par entreprise, d’accords sur des augmentations de salaire de 16 à 30 francs et s’engagèrent à lever toutes les sanctions, la reprise du travail fut votée par référendum par 53 % des 10 000 métallos présents.

Le rôle des directions syndicales

Avec l’élargissement du mouvement, le comité de lutte des soudeurs du chantier nazairien avait laissé place aux directions syndicales. Et, pendant que les ouvriers se battaient contre les CRS et qu’ils débrayaient « pour soutenir leurs délégations », les dirigeants syndicaux discutaient avec les patrons.

Pourtant, l’existence d’un comité de grève aurait permis que des représentants des grévistes se retrouvent devant les patrons pour défendre eux-mêmes leurs intérêts et prendre consciemment des décisions. Cela aurait pu offrir d’autres perspectives à la classe ouvrière du pays.

À la suite de ces événements dans l’Ouest, les patrons allaient chercher à désamorcer les conflits. Pour prix de leur maintien à l’écart des grèves, la troisième semaine de congés payés fut ainsi accordée aux travailleurs de Renault, avant d’être étendue à toute la métallurgie parisienne et à quelques grandes entreprises.

En 1955, faisant suite à cette vague de grèves, des accords maison se multiplièrent pour désamorcer le mécontentement ouvrier, en particulier dans les secteurs industriels déterminants comme Renault. Et c’est bien parce qu’il trouva face à lui des organisations syndicales prêtes à négocier entreprise par entreprise que le patronat put reprendre la main.

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