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Nouvelle-Calédonie : un accord pour prolonger la situation coloniale
Samedi 12 juillet, après dix jours de négociations sous l’égide de Macron et de Valls, l’État français et l’ensemble des partis calédoniens, indépendantistes comme anti-indépendantistes, ont signé un accord jetant les bases d’un « État de la Nouvelle-Calédonie ».
Les mots sont soigneusement choisis pour donner l’illusion d’une souveraineté calédonienne. Le trait essentiel est en effet que cet « État de Nouvelle-Calédonie » serait un État au sein de l’État français, l’impérialisme français prouvant une fois de plus qu’il n’est pas question pour lui de lâcher cette colonie qu’il possède depuis plus de 170 ans. Concrètement, ce nouveau statut augmenterait quelque peu l’autonomie dont bénéficient les institutions calédoniennes depuis les accords de Matignon de 1988 et ceux de Nouméa en 1998 mais tout en laissant l’essentiel, les fonctions dites régaliennes, l’armée, la police et la justice, entre les mains de l’État français. L’accord prévoit d’introduire une citoyenneté calédonienne, qui donnerait aux résidents actuels une deuxième nationalité s’ajoutant à la nationalité française. Elle permettrait au gouvernement calédonien de représenter le territoire dans les institutions internationales et auprès d’autres États.
Tout cela reste donc surtout sur le terrain de l’étiquette et de la préséance. Quant aux fonctions régaliennes, les partis indépendantistes ont obtenu que soit institué un mécanisme de transfert des mains du gouvernement français vers celles du gouvernement calédonien. Mais si les partis anti-indépendantistes ont aussi pu signer cet accord, c’est parce que ce mécanisme est de fait verrouillé. Ils ont d’ailleurs obtenu que la province Sud, celle où ils sont largement majoritaires, gagne encore en représentation. De plus, l’évolution des compétences régaliennes exigera une majorité de trois cinquièmes de l’Assemblée législative calédonienne, le Congrès, et le corps électoral élisant ce Congrès serait élargi d’environ 20 000 résidents de Nouvelle-Calédonie. Cela représente près de 10 % de la population totale, pour la plupart des immigrés venus de métropole qui sont acquis électoralement aux anti-indépendantistes mais qui ne pouvaient voter jusque-là pour les institutions locales.
Ainsi, la droite loyaliste apparaît comme gagnante de ces négociations. L’adoption de ce statut fera qu’il n’y aura plus de référendum sur l’indépendance, ce qui serait pour la bourgeoisie française et caldoche un gage de stabilité, les référendums ayant été ces dernières années une occasion récurrente de mobilisation des Kanaks. L’élargissement du corps électoral, qui rend les Kanaks toujours minoritaires dans leur propre pays, que la droite avait obtenu de Macron pour assurer ses positions dans les institutions de l’archipel, avait été le déclencheur de l’explosion de colère du 13 mai 2024 et il est finalement entériné. Quant au mécanisme prévoyant que les compétences régaliennes puissent être transférées au gouvernement calédonien, c’est « une manière de laisser la porte ouverte, de ne pas dire aux indépendantistes que votre combat est mort pour toujours, parce que là on créerait de la frustration », comme l’a expliqué le député loyaliste Nicolas Metzdorf, sur Europe 1 le 12 juillet.
Les partis indépendantistes ont néanmoins signé l’accord parce que, sur le fond, les notables à la tête de ces partis sont devenus des gestionnaires d’une économie largement dépendante de la bourgeoisie française et caldoche. Ils en sont les intermédiaires et partisans pour cela de la paix sociale, d’autant plus que l’État français leur a promis de relancer l’économie locale et de soutenir la filière nickel qui est en partie entre leurs mains.
Ce statut reste encore à inventer dans les détails, et avant qu’il puisse entrer en application, l’Assemblée nationale et le Sénat devront adapter la Constitution française et les Calédoniens se prononcer par référendum début 2026. Macron a donc demandé aux signataires d’en assurer la promotion dans l’archipel et la partie est pour eux loin d’être gagnée. À droite, il sera reproché aux loyalistes d’avoir accepté l’introduction d’une citoyenneté calédonienne à côté de la citoyenneté française, ce dont l’extrême droite, qui s’est remobilisée ces derniers mois autour des réseaux de « voisins vigilants », ne veut pas. Du côté des Kanaks, l’acceptation de fait de l’élargissement du corps électoral a déjà été dénoncée par certains militants comme ce qu’elle est, une trahison.
En tout cas, ce ne sont pas les travailleurs, les pauvres, Kanaks ou « petits Blancs », qui trouveront leur compte dans un tel accord qui n’a d’autre raison d’être pour la bourgeoisie française que de ravaler la façade de son colonialisme pour pouvoir le prolonger. Mais tant qu’elle et son système domineront, elle n’empêchera pas l’éclatement de nouvelles révoltes.